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un profond précipice ; il descend jusqu’à la base de la montagne ; des hauteurs boisées le ferment en demi-cercle du côté opposé ; sur ce point le micaschiste et le gneiss succèdent au grès et au calcaire qui forment, du côté de Brousse, le soubassement de la montagne.

Bientôt on atteint la région des pins ; nous traversons alors une forêt incendiée, où toutes les nuances du bois carbonisé se mêlent aux teintes brillantes du feuillage. En Turquie, mettre le feu à une forêt c’est un jeu dont le premier passant s’accorde le plaisir ; souvent les populations voisines voient dans cette pratique une manière facile de se procurer du charbon ; pour l’Européen, qui sait comment on doit ménager la fortune publique, ce spectacle de destruction est navrant.

Au milieu des pins apparaissent des masses de granit, véritables bastions que les chevaux de Brousse escaladent avec une adresse incroyable. On entre ensuite dans une plaine longue de plus d’une lieue, semée de blocs de granit-feldspathique en décomposition, et de touffes de genévriers. Puis les roches granitiques s’accumulent en monceaux difficiles à gravir ; des torrents alimentés par la neige fondante bouillonnent tout à l’entour. Enfin, une grande muraille de marbre blanc cristallin, à travers laquelle plusieurs dykes granitiques ont pénétré, se dresse l’extrémité méridionale du plateau et forme la crête de l’Olympe.

Il semble que la masse de matières ignées qui constitue le noyau de cette montagne n’a pas seulement, en s’épanchant, brisé et refoulé les couches superficielles où dominait le calcaire, mais qu’elle en a détaché et poussé devant elle une portion qui a conservé sa position horizontale, et se montre au sommet des jets les plus élevés du granit comme un pavoi soulevé par des bras vigoureux. Les tranches brillantes de ce bloc de marbre donnent à l’arête du mont Olympe un éclat particulier, remarquable surtout du côté du midi.

Il y aurait là matière pour les géologues à des observations intéressantes, mais je ne sache pas que cette contrée ait été, sous ce rapport, l’objet d’études approfondies[1].

La cime de la montagne est accessible du côté du nord-est, par une pente ardue couverte de fragments de marbre concassé.

Arrivés à dix heures et demie au pied de ce dernier escarpement, nous y déjeunons à la hâte ; et, confiant les chevaux à nos guides, nous franchissons à pied, en une demi-heure l’espace qui nous reste à parcourir. Nous jouissons alors d’un vaste panorama sur un pays sauvage : partout un terrain ondulé, montagneux, où les forêts tracent de grandes ombres, ou quelques lacs ressortent comme des points lumineux. Rien qui révèle la présence et l’action de l’homme[2] ; au nord et à l’ouest la mer se confond avec les brumes de l’horizon.

Du côté du midi, je l’ai dit déjà, la montagne est taillée à pic, et l’on se trouve en face d’un précipice qui a plus de mille mètres de profondeur.

Je n’ai rencontré au sommet de l’Olympe aucune des traces de monuments antiques, signalées par le voyageur Lucas ; seulement quelques monceaux de pierres accumulées par les dévots en l’honneur de santons vénérés, et tels qu’on en voit souvent sur les hauteurs qui bordent le Bosphore aux environs de Constantinople. Pas de neiges éternelles non plus, bien que toutes les descriptions de l’Asie Mineure ne manquent pas d’en gratifier l’Olympe. L’éclat du marbre peut de loin faire illusion, mais la vraie neige fond au mois de juillet et laisse tout au plus quelques traces çà et là. L’élévation de l’Olympe au-dessus du niveau de la mer est de deux mille deux cents mètres, et, sous cette latitude, la limite inférieure des neiges éternelles est à trois mille mètres.

La flore de l’Olympe est intéressante, Sestini l’a décrite, je crois, au dernier siècle ; le mauvais temps avait arrêté Tournefort dans sa tentative d’ascension.

Les forêts des plateaux supérieurs sont habitées par quelques ours ; plus bas on rencontre des cerfs ; les sangliers y sont nombreux. Parfois des animaux plus redoutables viennent des solitudes du sud-est, et s’égarent sur les versants de la montagne ; l’an passé on y a tué une panthère.

Il est nuit quand nous rentrons à Brousse, vers six heures et demie. Notre excursion n’a duré que douze heures.


VII


Lac d’Apollonia. — Ouloubad. — le Rhyndacus. — Kirmasli. — Cassaba. — Atys et Adraste. — La prière du soir à Baloukeuï.

Je quitte Brousse le 5 à neuf heures du matin et je m’achemine vers Ouloubad où M. de Vernouillet m’a précédé la veille, voulant s’y livrer au plaisir de la chasse, tandis que je consacrais une journée au dessin et à la photographie.

De Brousse à Ouloubad, il y a dix heures de marche. On suit quelque temps la route de Moudania. Il est bon de dépasser un peu l’intersection des deux chemins, pour voir, sur un affluent du Nilufer, un pont construit au moyen âge et dont l’aspect est assez pittoresque.

À quatre heures de Brousse, nous faisons halte pour déjeuner. Nous sommes en face de la petite ville d’Apollonia, que j’aurais grand plaisir à visiter ; mais elle n’est pas sur notre route, et nous avons à peine le temps d’atteindre Ouloubad aujourd’hui :

« Tchélébi, me dit un des surudjis, jeune Turc à la physionomie un peu farouche mais intelligente, voulez-vous avoir confiance en moi ? nos chevaux sont bons ; tandis que votre drogman et mon camarade continue-

  1. Le meilleur aperçu sur la formation géologique de l’Olympe a été publié par M. de Verneuil, en 1837, à la suite d’une rapide excursion. (Bulletin de la Société géologique de France, tome VIII ; voy. aussi le grand ouvrage sur l’Histoire naturelle de l’Asie Mineure, par M. de Tchihatchef, en voie de publication.)
  2. Non pas que les vallées qui entourent l’olympe soient incultes, mais les parties cultivées s’effacent derrière les forêts, et dans cette saison, d’ailleurs, rien ne les distingue des pâturages qui couvrent une partie du pays.