Page:Le Tour du monde - 09.djvu/319

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toutes les directions, escortés par Nnanaji et ses fils qui s’offraient à nous servir de guides. Que si, au moment de mon départ, il ne me restait pas de quoi suffire aux présents sur lesquels le roi de l’Ouganda devait compter, je pourrais puiser dans les entrepôts de Rumanika et combler ainsi le déficit de mes marchandises. Il m’accompagnerait d’ailleurs ou me ferait accompagner par Nnanaji jusques aux frontières de l’Ouganda pour me garantir contre les entreprises de Rogéro. »

28 et 29 nov. — Une insinuation ménagée m’a fait comprendre que Vouazézéru attendait de moi quelque bagatelle due au rang qu’il occupe dans l’état. Une couverture de laine et soixante et quinze grosses perles bleues, que je lui ai fait passer aussitôt, ont été reçues de fort bonne grâce. Le roi, toujours attentif, nous a dépêché ses musiciens qui nous ont donné une sérénade officielle. La musique militaire des régiments turcs ressemble assez à celle que nous entendîmes alors exécuter sur des instruments de roseau en forme de télescope, et dont les tambours marquaient la mesure. L’orchestre avait commencé par se promener, tout en jouant, de long en large ; mais, peu à peu, et par des transitions insensibles, cette marche devint une espèce de « bourrée », comme la hornpipe écossaise. Lorsque nous eûmes congédié nos concertants avec quelques grains de rassade, Nnanaji vint nous chercher pour nous mener à la chasse sur les montagnes qui dominent le lac. Il avait avec lui les fils du roi, plus de nombreux rabatteurs et une demi-douzaine de chiens. Tout en gravissant les pentes gazonnées, ces grands jeunes princes, aux formes athlétiques, s’amusaient à faire montre de leur talent comme archers et, de fait, je n’avais jamais vu pareilles prouesses. Leurs flèches passaient la cime des arbres les plus élevés et atteignaient le but, de fort loin, avec une précision merveilleuse. La chasse n’eut, d’ailleurs, aucuns résultats bien satisfaisants. Nous ne rencontrâmes que deux ou trois montana et quelques antilopes naines, trop farouches pour se laisser approcher.

L’orchestre de la cour, au Karagué. — Dessin de Émile Bayard.

Le soir, en revenant au camp, mon attention fut attirée sur de hautes cimes coniques situées dans le Ruanda, et qui étincelaient alors sous les feux du soleil couchant. Ceci me remit en mémoire les récits assez vagues que m’avaient fait les Arabes touchant une montagne merveilleuse, toujours perdue dans les nuages, et sur laquelle la grêle ou la neige tombait constamment. Cette découverte tout à fait fortuite avait sa valeur, car j’ai vérifié que le principal point de partage des eaux de l’Afrique centrale se trouvait justement sur ces hauteurs. Je me mis à l’œuvre sans perdre de temps et, réunissant tous les voyageurs qui se trouvaient à ma portée, j’en obtins les indications topographiques notées sur ma carte, jusqu’au troisième degré de latitude nord,