survenu justement alors, maltraita de paroles mon pauvre N’yamgundu. Ceci ne pouvait me convenir, et après un sincère exposé des faits que le lecteur connaît déjà, je priai Pokino d’expulser de mon camp ce guide indocile dont je ne voulais plus à aucun prix. Son Excellence ne jugea pas que cela fût possible, à l’encontre de la nomination royale ; mais, raillant Maula d’avoir ainsi « laissé partir l’oiseau qu’il tenait dans ses mains, » il le rejeta au second rang et décida que nous marcherions sous la conduite de N’yamgundu. En échange d’un paquet de fil d’archal que je me permis d’offrir au gouverneur, il me donna trois grandes couvertures de mbugu, « dont j’aurais besoin, me dit-il, pour traverser les nombreux ruisseaux qui allaient se trouver sur ma route. » Tout ceci réglé, il fallut encore attendre vingt-quatre heures, car plusieurs de mes gens tremblaient la fièvre qu’ils avaient prise, selon toute apparence, dans ces abominables marécages où nous avions pataugé plusieurs jours de suite. Au surplus nous n’étions pas en peine de nourriture. Nulle part encore je n’avais vu tant de bananiers ; leurs fruits jonchaient littéralement le sol, bien que les brasseries et les buveurs du pays fussent en activité du matin au soir, et que les seconds se gorgeassent en outre de bananes cuites (voy. p. 333).
De Kituntu, où je m’arrêtai toute la journée du 7, la vue est d’une beauté surprenante ; on embrasse du même regard l’Ouganda proprement dit, la nappe immense du lac, et cette grande île ou ce groupe d’îles appelé Sésé, qui sert d’ancrage à une des flottes de bateaux entretenues par le roi. Le lendemain je vois arriver à Mbulé quelques petits garçons qui, à l’exception d’une houppe ronde au-dessus de chaque oreille, ont la tête complétement rasée. Ce sont des pages de Sa Majesté qui m’apportent de sa part trois baguettes, à chacune desquelles je dois, selon l’usage des magiciens du pays, attacher un charme. « Je promis de faire mon possible, aussitôt que je serais rendu au palais ; mais, à cette distance, je craignais devoir avorter tous mes efforts. » Le lendemain, nous descendîmes dans la vallée de la Katonga, ou, au lieu d’un large cours d’eau tel que les Arabes me l’avaient décrit, il me fallut, durant deux longues heures, passer à gué je ne sais combien de fosses, d’étangs et de marécages, séparés l’un de l’autre par des îles boueuses.
(La suite à la prochaine livraison.)