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tant, que j’avais seulement blessée du premier coup, fit mine de se jeter sur moi, et je dus l’achever avec la cinquième balle du revolver, — haut fait merveilleux, qui me valut de bruyants applaudissements, et à la suite duquel les quatre animaux tués furent donnés à mes gens.

Le roi se mit ensuite à charger de ses propres mains une des carabines que je lui avais données et, la remettant tout armée à un page, lui enjoignit « d’aller tuer un homme dans l’autre cour. » Le marmot partit, nous entendîmes la détonation, et nous le vîmes revenir presque aussitôt avec la même grimace de satisfaction, le même air de malice heureuse que s’il eût déniché un oiseau, trouvé une truite au bout de sa ligne, bref, exécuté quelqu’un de ces tours d’adresse dont les enfants firent si volontiers vanité.

« Et vous vous en êtes bien acquitté ? lui dit le roi.

— À merveille ! » repartit l’apprenti bourreau.

Il ne mentait pas, bien certainement ; son maître n’entendait pas, raillerie. Mais l’incident ne parut intéresser personne ; aucun des assistants ne me dit et ne semblait désirer savoir quel individu avait reçu la mort des mains de ce petit drôle.


X


La cour de’Ouganda (suite). — La reine mère.

Comme on a déjà pu le remarquer souvent par ce qui précède, et comme on pourra le remarquer souvent encore dans la suite de ce récit, le temps n’est compté pour rien dans les préoccupations des monarques africains. Il me fallut bien des jours de diplomatie et de luttes contre l’étiquette avant que j’eusse obtenu de Mtésa un officier de l’Ouganda et un guide du Kidi pour accompagner Mabruki et Bilal, deux de mes gens, chargés des lettres et des cartes géographiques que j’adressais à Petherick ; ils emportèrent aussi une charge de verroteries pour défrayer leur voyage, et reçurent les ordres les plus stricts de suivre autant que possible le cours du Nil. Aussitôt après les avoir mis en route, je me suis rendu chez le roi pour régler avec lui certains arrangements relatifs à Grant et aussi pour me plaindre de ma résidence actuelle, qui n’est ni commode ni salubre, ni en rapport avec mon rang, très-supérieur à celui des marchands arabes pour lesquels elle a été construite. Une fois logé comme Je devrais l’être, dans le voisinage plus immédiat du palais, j’ai manifesté l’espoir que les dignitaires de la cour n’auraient plus honte de me rendre visite. Quand il ne sait que dire, le roi se renferme dans un silence provoquant. Au lieu de répondre à mon pressant appel il s’est livré d’abord à une dissertation géographique et m’a conseillé ensuite d’aller voir sa mère, la n’yamasoré, dans son palais de Masorisori (vulgairement appelé Soli Soli), car elle a besoin d’une médecine. J’ai de plus été prévenu pour l’avenir que, selon l’étiquette de l’Ouganda, je ne devais jamais manquer de visiter le roi deux jours de suite et de consacrer le troisième à sa mère. Ce sont là leurs priviléges respectifs.

Antilope n’samma, des bords du N’yanza (Ouganda).

Jusqu’à présent, les lois du pays m’avaient interdit d’aller voir personne, si ce n’est le roi lui-même. Je n’avais eu occasion de mettre qui que ce fût dans mes intérêts par des générosités bien entendues ; nulle visite ne m’arrivait si ce n’est celle des pages à cocardes, et par ordre exprès du souverain ; personne enfin n’était autorisé à me vendre des provisions, de telle sorte que mes gens en étaient réduits pour se nourrir, tantôt à mettre au pillage tels ou tels jardins que leur désignaient les officiers du roi, tantôt à s’emparer du pombé ou des bananes apportées par les Vouaganda qu’ils rencontraient sur la route du palais. Ce système particulier de « non intervention, » un des traits de la politique royale, avait pour but de réserver au souverain le monopole de l’exploitation à pratiquer sur ses hôtes.

Pour donner à ma première visite chez la reine mère toute la solennité requise, je pris avec moi, outre ma pharmacie portative, une offrande composée de huit bracelets de bronze et cuivre, trente grosses perles « œufs de pigeon » de couleur bleue, un paquet de menues verroteries et seize coudées d’indienne. J’emmenai aussi ma petite garde d’honneur, sans oublier mon trône de foin royal. Le palais où je me rendais est à un mille et demi par delà celui du monarque ; mais la grande route m’était interdite, vu qu’il est regardé comme in-