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avant notre arrivée, de donner l’hospitalité à de méchants sorciers, capables de lui nuire par toute sorte d’abominables expédients. Le roi, toujours faible, s’en est tiré en leur promettant que personne ne nous verrait, et c’est ainsi que nous sommes relégués dans une enceinte de marécages sans autres issues que la route du palais, une des plus puantes ruelles dont on puisse se faire idée. C’est encore pour cela que la hutte bâtie à notre intention, et où le roi nous donne audience, est située loin de tous les regards, dans un bas-fond où il serait difficile de la découvrir.

Dans la nuit du 4 au 5 octobre on nous a volé un pluviomètre, et nous avons, le lendemain, assisté aux opérations magiques destinées à nous le faire retrouver. Le sorcier mandé à cet effet était un pauvre vieillard succinctement vêtu de quelques bandelettes de cuir. Il avait à la main une corne magique remplie de poudre et soigneusement bouchée, à laquelle pendait une petite cloche d’airain.

Ayant fait égorger un bœuf en présence de quelques officiers et du nain de la cour, il s’accroupit au milieu de nous, lorgnant celui-ci, dévisageant celui-là, grommelant entre ses dents quelques incantations mal articulées, et faisant de temps à autre tinter sa clochette, puis il nous a déclaré tout à coup d’un air satisfait que l’objet perdu reviendrait dans nos mains (voy. p. 377).

Nos gens avaient reçu ordre de s’accroupir aussi devant la hutte, et le magicien qui les passait en revue, tantôt menaçait l’un de sa corne, tantôt flairait la tête d’un autre, et finit par s’assurer ainsi que le voleur ne se trouvait point parmi eux, ce que la clochette, qu’il portait de temps en temps à son oreille, lui confirma d’ailleurs pleinement. De ma hutte il se transporta dans celle de Grant, puis à l’endroit même où le pluviomètre avait été placé. Là, quelques recherches lui firent découvrir la piste d’une hyène. Il la suivit avec empressement, et quelques pas plus loin, le vase se retrouva. Une hyène s’en était emparée et l’avait ensuite laissée retomber. Le vieux docteur avait donc, après tout, partie gagnée. Il demandait pour sa peine, un pot de pombé ; nous y ajoutâmes une chèvre.

29 octobre. — Après un mois d’impatience fiévreuse de ma part et de lenteurs plus ou moins déloyales de la part de Kamrasi, une audience m’est accordée aujourd’hui dans le nouveau palais qu’il vient de se faire construire sur les bords de la Kafu. J’y porte une bible pour expliquer au monarque certaines idées dont je l’ai entretenu déjà sur l’origine et la condition présente de cette race éthiopienne qui porte le nom de Vouahuma. Je remonte pour ceci jusqu’à la Genèse. Je lui raconte Adam, le déluge, la dispersion des peuples. Je lui montre, dans les chroniques, témoignage éclatant de la grandeur à laquelle ses ancêtres étaient parvenus, l’histoire de ce roi d’Éthiopie, nommé Zarah, qui dans la vallée de Zéphathah, près de Mareshah, vint avec une armée d’un million d’hommes, combattre le juif Asa, chef de guerriers moins nombreux, et qui dut appeler l’Éternel à son aide. Passant ensuite à une époque bien plus récente, je lui fais voir les Éthiopiens aux prises avec les Arabes dans le pays des Samalis, puis à Omwita (Mombas), avec les Arabes et les Portugais et j’ajoute qu’en toutes ces circonstances, ils se sont emparés de certaines contrées et ont laissé derrière eux un certain nombre de leurs enfants. De là un mélange, un croisement dont je lui fais comprendre la nature en lui parlant de Mtésa qui a perdu presque tous les attributs distinctifs du sang Mhuma, parce que depuis mainte et mainte génération, ses ancêtres se sont unis à des femmes Vouaganda. Cette application personnelle de ma théorie historique, a singulièrement réjoui mon royal auditeur, qui s’est mis ensuite à compter les feuilles de ma Bible, comprenant que chacune d’elles renfermait l’histoire d’une année. Mais après lui avoir laissé faire le quart de ce travail, je le remets dans la bonne voie en lui disant qu’il serait plus près du vrai, si au lieu de compter les pages, il comptait les mots.

Nous engageâmes ensuite, à bâtons rompus, un débat assez désagréable. Il ne veut pas me permettre de visiter le Luta ou lac Nzigé, avant que Bombay, que j’ai envoyé à la découverte vers le nord, soit de retour. Alors, dit-il, une expédition partira, dont mes hommes, avec leurs fusils, formeront l’arrière-garde. C’est toujours la même arrière-pensée de nous commettre dans une campagne engagée contre ses frères.

Puis, reviennent les sollicitations habituelles : il s’agit de médecines et d’une scie qu’on voudrait seulement voir et qu’on ne nous déroberait pas. Et des pilules, pourquoi refuser des pilules aux pauvres malades qui en ont besoin ? Comme nous opposons de froids refus à cette mendicité fatigante, le roi se retire en colère ; mais il se ravise, une fois rentré chez lui, et nous adresse un pot de pombé. Je riposte par une boîte de pilules, ce qui dénoue dignement cette misérable comédie.

1er  novembre. — Bombay est de retour avec Mabruki, tous deux dispos et gaillards. Ils ont des vestes et des caleçons de coton qui leur ont été donnés par ce qu’ils appellent les avant-postes de Pétherick. Quant à Pétherick lui-même, ils ne l’ont pas vu. Le voyage leur a pris quatorze jours de marche effective. Le djemadar ou lieutenant, auquel ils ont eu affaire, commande encore deux cents Turcs, et il a ordre de m’attendre, sans limite de temps, jusqu’à ce que je sois arrivé. Comme signe de reconnaissance, on me montrera le nom de Pétherick gravé dans l’écorce d’un arbre. Au surplus, personne au camp turc ne s’est trouvé en état de déchiffrer ma lettre et par conséquent, on ne sait pas au juste si nous sommes l’expédition au devant de laquelle on est venu. En attendant, armés de fusils spéciaux pour cette chasse, le djémadar et ses hommes ont déjà tué seize éléphants. Pétherick était parti pour un voyage de huit jours, en aval du fleuve ; mais on espérait son retour d’un moment à l’autre.

2 novembre. — Bombay va présenter à Kamrasi les présents d’adieu : une tente, un moustiquaire, un rouleau de bendéra (cotonnade rouge), une marmite, une scie, une caisse de verroteries variées de premier choix, six paquets de fil de cuivre, plus une requête pressante pour