Page:Le Tour du monde - 09.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des promontoires, une côte bleue qui s’éloigne et devient verte, une côte verte qui s’approche et devient bleue, Castellamare qui pointe et Naples qui fuit. Toutes ces lignes et ces couleurs existaient déjà du temps que Pompéi fut détruite : l’île de Prochyta, les villes de Bajœ, de Bauli, de Neapolis et de Surrentum portaient à peu près les noms qu’elles ont gardés ; Portici s’appelait Herculanum, Torre Annunziata s’appelait Oplonte ; Castellamare, Stabies ; Misène et Minerve désignaient les deux extrémités du golfe (voy. le plan, p. 388). Cependant le Vésuve n’était pas ce qu’il est devenu ; fertile et boisé presque jusqu’au sommet, couvert de vergers et de vignes, il devait ressembler aux pittoresques hauteurs de Monte Sant’Angelo, vers lesquelles nous roulons ; la cime seule, trouée de cavernes et remplie de pierres noires, dénonçait aux savants un volcan « depuis longtemps éteint. » Il devait se rallumer dans une éruption terrible, et depuis lors, constamment il fume ou flambe, menaçant les ruines qu’il a faites et les villes nouvelles qui le bravent, couchées à ses pieds.

Que vous attendez-vous à trouver dans Pompéi ? À distance, l’antiquité paraît énorme ; ce mot de ruines éveille des idées colossales dans l’imagination surexcitée du voyageur. Rien de semblable ! Qu’on ne se crée pas de déceptions : c’est la première règle en courant le monde. Pompéi fut une petite ville de trente mille âmes : à peu près ce qu’était Genève il y a trente ans. Comme Genève aussi, merveilleusement située, au fond d’une vallée pittoresque, entre des montagnes fermant d’un côté l’horizon, à quelques pas de la mer et d’un ruisseau, fleuve autrefois, qui s’y jette, elle attirait des personnages de distinction, mais était peuplée surtout de commerçants, gens tranquilles, aisés, prudents et probablement honnêtes. Des étymologistes, après avoir épuisé, dans leurs dictionnaires, tous les mots qui consonnent à Pompéi, se sont accordés à faire dériver ce nom d’un verbe grec qui signifie envoyer, transporter ; d’où ils concluent que nombre de Pompéiens faisaient l’exportation, ou peut-être étaient des émigrants envoyés de loin pour former une colonie. Toutes ces opinions sont des conjectures, il est inutile de s’y arrêter.

Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que la ville était l’entrepôt du commerce de Nola, de Nocera, d’Atella. Son port pouvait recevoir une armée navale, il abrita la flotte de P. Cornelius. Ce port, cité par quelques auteurs, a fait penser que la mer venait baigner les murs de Pompéi ; quelques guides ont même cru découvrir les anneaux qui retenaient les câbles des galères. Par malheur, à la place que l’imagination des contemporains couvrait d’eau salée, on surprit un jour des vestiges d’anciennes constructions ; il est donc reconnu maintenant que Pompéi, comme beaucoup d’autres endroits riverains, tenait son port à distance.

Les bourgeois de l’endroit étaient citoyens romains, Rome étant reconnue comme capitale et comme patrie. La législation locale était subordonnée à la législation romaine. Mais, sauf ces réserves, Pompéi formait un petit monde à part, indépendant et complet. Elle avait un diminutif du sénat, composé de décurions, un abrégé d’aristocratie représentée par ses Augustales répondant aux chevaliers, enfin la plèbe ou le peuple. Elle nommait ses prêtres, convoquait les comices, promulguait les lois municipales, réglait les levées militaires, percevait les impôts, choisissait enfin ses gouvernants, ses consuls (les duumvirs rendant la justice), ses édiles, son questeur, etc. Ce n’est donc pas une ville de province que nous allons parcourir, mais un petit État qui avait gardé son chez soi dans l’unité de l’empire et, comme on l’a dit galamment, une miniature de Rome.

Une autre circonstance donne un intérêt particulier à Pompéi. Cette cité, qui n’eut pas de bonheur, avait été rudement secouée, en l’an 63 avant Jésus-Christ, par un tremblement de terre. Plusieurs temples croulèrent, outre la colonnade du Forum, la Basilique, les théâtres, sans compter les tombeaux et les maisons. Presque toutes les familles s’enfuirent, emportant leurs meubles et leurs marbres ; le sénat hésita longtemps avant de permettre que la ville fût rebâtie et le désert repeuplé. Les Pompéiens revinrent ; mais les décurions voulurent que la restauration fût un rajeunissement. Les colonnes du Forum se relevèrent aussitôt avec des chapiteaux à la mode ; l’ordre corinthien romain, adopté presque partout, changea le style des monuments ; les vieux fûts recouverts de stuc furent rhabillés à la diable pour la coiffure nouvelle qu’on leur voulut imposer, les inscriptions osques disparurent. Il en résulta de lourdes bévues au point de vue de l’art, mais une consonnance qui réjouit ceux qui aiment les monuments et les villes d’une seule venue. Le goût y perd, mais l’harmonie y gagne ; vous allez parcourir un ensemble de constructions qui portent leur âge et donnent une idée très-nette et très-vive de ce que devait être un municipe, une colonie romaine, au temps de Vespasien.

On s’était donc mis à rebâtir la ville, et la reconstruction était poussée assez activement, en grande partie grâce aux dons des Pompéiens, notamment des fonctionnaires ; les temples de Jupiter et de Vénus (nous adoptons les noms consacrés), ceux d’Isis et de la Fortune étaient déjà debout, les théâtres se relevaient, les jolies colonnes du Forum s’alignaient sous les portiques, les maisons repeuplées s’égayaient de vives peintures, le travail et le plaisir s’étaient ranimés, la vie circulait, la foule se pressait à l’amphithéâtre, quand éclata tout à coup la terrible éruption de 79. Je la décrirai plus tard ; je rappelle seulement ici qu’elle ensevelit Pompéi sous une grêle de pierres et un déluge de cendres. Ce formidable réveil du volcan détruisit trois villes, sans compter les villages, et dépeupla le pays en un clin d’œil.

Après la catastrophe, les habitants revinrent cependant ; ils pratiquèrent de premières fouilles pour déterrer leurs objets précieux ; nombre de voleurs s’insinuèrent aussi (nos savants les ont surpris comme sur le fait) dans la cité souterraine. On sait que l’empereur Titus eut, un moment, l’idée de la déblayer et de la relever : il envoya sur les lieux, à cet effet, deux sénateurs chargés des premières études ; mais il semble que le travail ait effrayé