Page:Le Tour du monde - 09.djvu/395

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nous grandes artères était parfaitement inconnu des Pompéiens qui ne perçaient entre leurs maisons que de minces sentiers dallés (pour cause de salubrité, disaient ils : nous avons changé d’avis sur cette question d’hygiène publique). La plus grande largeur d’une rue pompéienne est de sept mètres ; il en est qui tiennent avec leurs trottoirs dans un espace de deux mètres et demi. Ces trottoirs sont élevés et fort étroits, pavés très-diversement selon la richesse ou la fantaisie des propriétaires qui étaient chargés de leur entretien : ici en belles dalles, un peu plus loin en terre battue ; devant la maison suivante en plaques de marbre ; çà et là en opus signinum, mosaïque rudimentaire. Ces trottoirs étaient coupés par des bornes souvent percées de trous (devant les boutiques, par exemple), peut-être pour attacher les ânes et les vaches des paysans, qui apportaient chaque matin dans la ville, jusqu’à la porte des citadins, leur lait ou leurs paniers de légumes. Entre les trottoirs se creusait la rue, pavée de gros blocs de lave que le temps n’a pas dégradés ; quand Pansa se rendait chez Paratus, ses sandales battaient les mêmes pierres que foulent nos bottes. Les jours de pluie, cette rue devait être un lit de torrent comme le sont encore les ruelles de Naples : aussi avait-on posé de loin en loin une ou trois grosses pierres qui permettaient aux piétons de passer d’un trottoir à l’autre à pied sec. Ces petites piles de pont devaient rendre le passage des voitures difficile ; aussi les ornières qu’on trouve encore marquées sur les pavés sont-elles des traces de chariots traînés lentement par des bœufs et non de ces chars légers que lancent si lestement les romanciers dans la petite ville antique. On sait d’ailleurs que les Pompéiens allaient à pied ; les notables seuls se faisaient voiturer dans les campagnes. Où trouver place pour des remises et des écuries, dans ces maisons grandes comme la main ? C’est dans le faubourg seulement, dans la banlieue, que l’ampleur des habitations rendait ce luxe possible. Rayons donc les chars de notre imagination, si nous voulons voir les rues de Pompéi comme elles étaient.

La porte d’Hercule restaurée — Dessin de Lancelot.

Après l’averse, l’eau de pluie descendait peu à peu dans des rigoles, qui couraient le long des trottoirs, et de ces rigoles par des trous encore visibles, dans un canal souterrain qui l’emportait hors de la ville.

Les boutiques s’ouvraient sur la rue, et s’y ouvraient presque entièrement, comme les nôtres, présentant aux passants un large comptoir qui ne laissait qu’un petit espace libre à droite ou à gauche pour permettre aux marchands d’entrer et de sortir. Dans ces comptoirs ordinairement revêtus d’une plaque de marbre se creusaient les bassins où les épiciers, les cantiniers, gardaient leurs liquides et leurs denrées. Derrière les comptoirs, le long du mur, s’élevaient des gradins en pierre sur lesquels étaient rangées les provisions. À l’étalage, d’un pilier à l’autre, pendaient en festons les comestibles ; des étoffes ornaient probablement les devantures, et les chalands qui faisaient leurs emplettes du trottoir de la rue devaient former partout des groupes bruyants et très-animés. Le méridional gesticule beaucoup, marchande volontiers, discute vivement, il parle vite et haut, avec une volubilité sonore : allez le voir maintenant encore dans les bas quartiers de Naples qui rappellent en plus d’un point les ruelles de Pompéi.

Ces boutiques sont maintenant dépouillées ; on n’y voit plus rien que les comptoirs vides et çà et là les rainures où glissaient les portes formées de plusieurs volets s’emboîtant l’un dans l’autre. Mais les peintures ou les sculptures qui existent encore sur quelques piliers latéraux sont de vieilles enseignes qui nous apprennent ce qu’on vendait sur le comptoir voisin. Ainsi une chèvre en terre cuite annonce une laiterie, un moulin tourné par un âne désigne le magasin d’un meunier, deux hommes marchant l’un devant l’autre, chacun portant