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Voir aussi l’Adonis de la maison d’Adonis ; le sacrarium (chapelle domestique) de la maison des colonnes de mosaïque ; les bêtes fauves décorant la maison de la Chasse ; voir surtout les nouvelles fouilles où les peintures ont encore tout leur éclat. Mais si toutes ces habitations sont à visiter, elles ne sont point à décrire.

D’ailleurs ces maisons sont dépouillées. Je vous annoncerais dans telle pièce une jolie peinture, une riche mosaïque ; vous iriez la chercher sur place et vous ne la trouveriez point ; elle est au musée de Naples ; et si elle n’est pas au musée, elle n’est plus nulle part. Le temps, l’air et le soleil l’ont détruite. Ceux donc qui inventorient ces maisons vous préparent de tristes mécomptes. Le seul moyen de se faire une idée de l’art pompéien n’est pas d’examiner un à un tous les monuments, mais de les grouper dans sa tête et de visiter attentivement le musée ; on recompose ainsi comme une petite ville idéale, une Pompéi artistique que nous allons essayer de parcourir.

Pompéi avait deux forum et même trois : le troisième était un marché ; le premier que vous connaissez était une place publique ; l’autre, que nous allons visiter, était une sorte d’acropole, fermée comme celle d’Athènes et placée sur le point le plus élevé de la ville. D’un banc encore en place à l’extrémité de ce forum, on découvre la vallée du Sarno, les montagnes ombreuses qui la ferment, le damier cultivé de la campagne, les touffes vertes des bois ; puis la côte mollement recourbée où serpentait Stabies, les hauteurs pittoresques de Sorrente, le bleu foncé de la mer, le bleu transparent du ciel, l’infinie limpidité des horizons lointains, la clarté, la couleur antique. Ceux qui n’ont pas vu cette nature ne peuvent comprendre qu’à moitié ces monuments, toujours dépaysés sous un autre soleil.

Dans cette lumière s’élevait l’acropole de Pompéi, le forum triangulaire. Huit colonnes ioniques en décoraient l’entrée et soutenaient un portique d’une pure élégance, d’où s’éloignaient et s’écartaient l’une de l’autre, en formant un angle aigu, deux sveltes colonnades encore surmontées de l’architecture qu’elles supportaient légèrement. La terrasse qui regardait la campagne et la mer marquait le troisième côté du triangle au milieu duquel se dressaient quelques autels, l’ustrine où l’on brûlait les morts, un petit temple rond couvrant un puits sacré, enfin le temple grec, dominant tout du haut de son soubassement, et dessinant dans l’air ses colonnes libres. Ce plateau, appuyé sur de fortes assises et rempli de monuments d’un beau style était la page la mieux réussie, la plus solidement correcte de Pompéi. Par malheur le stuc, ici comme partout, avait revêtu la pierre. Les colonnes étaient peintes. Nulle part une façade en marbre clair, — le blanc dans le bleu ! — n’interrompait le ciel.

Les autres temples nous fournissent peu de documents sur l’architecture. Vous connaissez ceux du Forum. Celui de la Fortune, aujourd’hui fort délabré, devait ressembler à celui de Jupiter. Élevé par un Marcus Tullius, parent putatif de Cicéron, il ne nous a guère donné que des statues médiocres et des inscriptions pleines de fautes, prouvant que les prêtres de l’endroit, fort peu cicéroniens, ne savaient pas leur langue. Le temple d’Esculape, outre son autel, a gardé un chapiteau bizarre, corinthien, si l’on veut, où des feuilles de chou, remplaçant les feuilles d’acanthe, enveloppent une tête de Neptune. Le temple d’Isis, encore debout, est plus curieux que beau : il démontre que cette déesse égyptienne était vénérée à Pompéi[1], mais il ne nous apprend rien sur l’art antique. On entre de côté, par une sorte de couloir, dans l’enceinte sacrée ; le temple est à droite, des colonnes l’entourent, une niche voûtée se creuse sous l’autel et servait de cachette aux prêtres, à ce que disent les romanciers ; par malheur la porte de la niche sautait et saute encore aux yeux, ce qui rendait la supercherie impossible. On fait du tort aux oracles païens. Derrière la cella, une autre niche contenait une statue de Bacchus, qui était peut-être le même dieu qu’Osiris. Un purgatoire, destiné aux purifications et aux ablutions, et descendant dans un réservoir souterrain, occupait un angle de la cour. Devant ce purgatoire se dresse un autel sur lequel on a trouvé des restes de sacrifices. Isis fut donc la seule divinité invoquée au moment de l’éruption. Sa statue peinte tenait la croix ansée d’une main, le sistre de l’autre, et ses cheveux lui tombaient sur les épaules en longs anneaux très-fins et très-soigneusement bouclés.

Voilà tout ce que les temples nous donnent ; artistiquement, c’est peu. Les autres monuments ne sont pas beaucoup plus riches en renseignements sur l’architecture antique. Ils nous apprennent que les matériaux employés étaient surtout la lave, le tuf, les briques excellement préparées, ayant plus de surface et moins d’épaisseur que les nôtres, le pipérin, la pierre de Sarno, que le temps rend très-dure, quelquefois le travertin, même le marbre dans les ornements ; enfin le mortier romain, d’une solidité célèbre, moins parfait cependant à Pompéi qu’à Rome, enfin le stuc dont la croûte unie et polie revêt la ville entière, comme d’un manteau ba-

  1. Une inscription mal interprétée de la porte de Nola avait fait croire un instant que l’importation de ce culte singulier remontait aux premiers temps de la petite ville ; mais on sait qu’il fut introduit par Sylla dans le monde romain. Isis, c’était la Nature, patronne des Pompéiens, qui la vénéraient également dans leur Vénus physique. Cette religion mystérieuse, symbolique, pleine de secrets cachés au peuple ; ces déesses à tête de chien, de loup, de bœuf, d’épervier ; le dieu Oignon, le dieu Ail, le dieu Poireau, tout ce que raconte Apulée de ce culte dégénéré, outre les documents fournis par les fouilles pompéiennes, les goupillons retrouvés, les bassins, les couteaux, les trépieds, les cymbales, les sistres, tout cela vaudrait la peine d’être étudié.

    Sur la porte du temple, une étrange inscription annonçait que Numérius l’opidius, fils de Numérius, avait relevé à ses frais le temple d’Isis, renversé par un tremblement de terre, et qu’en récompense de sa libéralité, les décurions l’avaient gratuitement adjoint à leur collége, à l’âge de six ans. Les antiquaires, quelques-uns du moins, trouvant cet âge invraisemblable, ont lu soixante ans au lieu de six, oubliant qu’il existait autrefois deux sortes de décurions, les ornamentarii et les prætextati : ceux d’honneur et ceux d’office. Les premiers pouvaient être agrégés au sénat pompéien en récompense des services rendus par leurs pères. Une inscription trouvée à Misène confirme le fait. (Voir les Mémoires de l’Accademia Ercolanese, anno 1833.)