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Toutes les divinités antiques passeront devant nous, tantôt isolées (comme la belle Cérès, vraiment imposante, de la maison de Castor et de Pollux), tantôt groupées en scènes connues dont quelques-unes reviennent souvent sur les murs pompéiens. Ainsi l’éducation de Bacchus, le roman d’Ariane, Pâris et les trois déesses, Achille à Scyros, Apollon et Daphné, Adonis mourant, Zéphire et Flore, les héros surtout : Thésée et Andromède, Méléagre, Jason, Hercule en tête, ses douze travaux, son combat avec le lion de Némée, ses tendresses, ses faiblesses (voir dans les nouvelles fouilles, maison de Siricus, la grande peinture où, vaincu par l’amour et l’ivresse, il succombe en présence d’Omphale et de Bacchus triomphant, p. 405). Voilà les épisodes préférés par les décorateurs de la petite ville. Ils empruntaient quelquefois leurs sujets aux poëmes de Virgile, plus souvent à ceux d’Homère ; je pourrais citer toute une maison (celle du Poëte, appelée aussi Maison homérique) dont la cour intérieure était une Iliade illustrée. On y voyait la séparation d’Agamemnon et de Chryséis, puis celle de Briséis et d’Achille qui, assis sur un trône, avec une expression de soumission irritée, invitait la jeune fille à retourner chez Agamemnon : beau tableau justement célèbre. Là régnait aussi la jolie Vénus que Gell n’a pas craint de comparer pour la forme à celle de Médicis et pour la couleur à celle du Titien.

C’est dans le péristyle de cette maison que fut retrouvée la copie du fameux tableau de Timanthe, le sacrifice d’Iphigénie. « L’ayant représentée debout près de l’autel où elle va périr, l’artiste peignit la tristesse sur le visage des assistants et surtout de Ménélas ; puis, ayant épuisé tous les caractères de la douleur, il voila le visage du père, ne trouvant plus possible de lui donner l’expression convenable. » Elle était, selon Pline, l’œuvre de Timanthe, et telle est exactement la reproduction qu’on en a trouvée dans la maison du Poëte, à Pompéi.

Cette Iphigénie et la Médée de la maison de Castor et Pollux (rappelant le chef-d’œuvre du byzantin Timomachos), sont les deux seules peintures pompéiennes qui reproduisent des tableaux connus ; n’en concluons pas cependant que les autres soient originales. Les peintres de la petite ville n’étaient ni des créateurs, ni des copistes, mais des imitateurs très-libres, brodant à leur tête sur des thèmes connus. De là cette variété qui nous surprend chez eux dans la reproduction du même sujet. J’ai bien vu dix Arianes surprises par Bacchus ; il n’en est pas deux qui se ressemblent. De là aussi cette aisance et cette liberté de main montrant des décorateurs qui prenaient leurs aises. Certes, leurs œuvres, d’un mérite fort inégal, ne sont pas des modèles de correction ; les fautes de dessin et de proportion, les maladresses et les étourderies y pullulent ; mais qu’on choisisse en France une sous-préfecture de trente mille âmes et qu’on dise aux peintres de l’endroit : « Mes amis, vous allez arracher partout, dans les appartements, ces grandes feuilles de papier de couleur collées sur les murs et vous peindrez à la place des socles et des frises, des images de dévotion, des tableaux de genre et d’histoire qui résument les idées, les croyances, les mœurs et le goût de notre temps, de telle sorte que si demain les Pyrénées, les Cévennes, ou le Jura croulent sur vous, les générations futures, qui déterreront vos maisons et vos chefs-d’œuvre, puissent étudier ici notre siècle qui sera pour eux l’antiquité… » que feraient les peintres de cette petite ville ? Je puis affirmer, je crois, sans leur manquer de respect, qu’ils seraient fort embarrassés.

Tels étaient les murs de Pompéi, regardons les pavés, ils nous étonneront davantage encore. Au commencement, le pavage était simple : on formait une pâte avec une sorte de mortier, on la saupoudrait de poussière de briques pilées et l’on en faisait une composition qui, durcie, ressemblait à du granit rouge. Plusieurs chambres et plusieurs cours de Pompéi sont pavées de cette composition qu’on appelait opus signinum. Puis, dans cette croûte, on aligna d’abord de petits cubes de marbre, de verre, de pierre calcaire, d’émaux colorés formant des carrés ou des bandes, puis d’autres compliquant les lignes ou variant les couleurs et d’autres encore traçant des dessins réguliers, des méandres, des arabesques, si bien que les cailloux découpés finirent par couvrir complétement la pâte rougeâtre, et l’on eut ainsi les mosaïques, ces tapisseries de pierre qui acquirent bientôt la valeur et l’importance des grandes œuvres d’art.

La maison du Faune, à Pompéi, la plus richement pavée, était un musée de mosaïques. Il y en avait une devant la porte, sur le trottoir, inscrite du salut antique. Une autre, au bout du prothyrum, figurait artistement des masques. D’autres, dans les ailes de l’atrium, composaient une petite ménagerie : deux canards, des oiseaux morts, des coquillages et des poissons, des colombes tirant des perles d’une cassette, enfin un chat dévorant une caille, chef-d’œuvre de mouvement et de précision. Pline parle d’une maison dont le pavé représente des restes de repas : on l’appelait la Maison mal balayée. Mais, ne quittons pas celle du Faune où les mosaïstes avaient encore brodé dans l’œcus un superbe lion, en raccourci, fort dégradé malheureusement, mais merveilleux de force et d’audace. Dans le triclinium, une autre mosaïque montrait Acratus, le génie bachique, à cheval sur une panthère ; enfin, celle de l’exèdre, la plus belle qui existe, compte parmi les plus précieux monuments de l’art ancien. C’est la fameuse bataille d’Arbelles ou d’Issus. Et cette merveille n’était que le pavé d’un salon ! « Les anciens mettaient les pieds où nous mettons les mains, » dit un Anglais qui dit la vérité pure. Les plus belles tables des palais de Naples ont été coupées dans les planchers de Pompéi.

C’est dans la même maison qu’on a déterré le fameux Faune dansant, statuette en bronze. Il a la tête et les bras levés, les épaules rejetées en arrière, la poitrine saillante, chaque muscle est en mouvement, tout son corps danse. Il manquait un pendant à ce petit dieu plein de force et d’élan, les dernières fouilles l’ont trouvé