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Irlandais, perchés sur un tonneau, me rappellent les noces de campagne de mon pays natal.

Tous prennent part à la danse : employés, chasseurs, métis, nègres, mulâtres et Indiens, et toutes ces figures, blanches, jaunes, noires, cuivrées et couleur de brique, éclairées par une flamme rougeâtre et excitées par une nouvelle distribution de whiskey, ont quelque chose de vraiment diabolique. Les têtes s’échauffent, les vieilles querelles reviennent sur le tapis, les coups de poing pleuvent de tous côtés, les métis ripostent par des coups de couteau, les Indiens brandissent leurs casse-tête, on se menace de la carabine pour le lendemain, puis on recommence à danser sans s’apercevoir que toutes les femmes se sont esquivées pendant le combat. Tels sont les intermèdes des fêtes au fort Chouteau.

Le lendemain de notre arrivée au fort, j’étais dans le camp des Sioux, occupé à faire l’esquisse du coursier de bataille, guerrier fameux dont le costume original m’avait frappé. Le croquis terminé circulait de main en main, quand mon vaillant modèle s’en empare, s’élance sur son cheval et se sauve au galop, me laissant d’autant plus mystifié que les banarets[1] et les jeunes filles riaient aux éclats, trouvant sans doute la plaisanterie excellente.

Pendant mon séjour parmi les Sioux, il me fut presque impossible de faire le portrait des guerriers ou même un croquis de leur camp, car ils se figuraient qu’une fois maître de leur image j’aurais le pouvoir de les détruire aussi facilement qu’elle-même. Les Sioux, qui ont été cruellement décimés par le choléra et la petite vérole, maladies apportées au milieu d’eux par les blancs, sont excessivement superstitieux, et croient que les Américains se servent des maladies comme d’une arme pour les exterminer.

Le cimetière indien est situé à un kilomètre du fort Pierre, dans une plaine où paissent un grand nombre de chevaux en liberté. Les Sioux n’enterrent pas les morts, ils les enveloppent dans leurs meilleures couvertures de laine et les enferment dans une sorte de bière faite quelquefois de planches de cèdre grossièrement travaillées, le plus souvent de branches d’arbres ; quatre pieux fixés en terre supportent cette espèce de cercueil, qui se trouve ainsi élevé à huit ou dix pieds du sol et à l’abri de l’humidité et des bêtes féroces.

Cimetière indien sioux.

Les parents ont soin de placer à côté du défunt une pipe, un peu de tabac, un arc et des flèches, quelques provisions et divers articles dont le défunt peut avoir besoin pendant son long voyage dans l’autre monde.

Mais avec le temps, les pieux se pourrissent, tout l’échafaudage s’écroule, et les loups et les coyotes ou petits

  1. Les jeunes guerriers, dandys de l’endroit.