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tribu amie des Sioux, ou Têtes-Coupées, et nous lui faisons signe d’avancer.

On échange des poignées de main avec les jeunes guerriers, et, après avoir fumé le calumet de la paix, nous apprenons qu’ils arrivent des Black-Hills ou montagnes Noires, où au lieu d’ours et d’élans, ils ont rencontré un gibier bien plus formidable, c’est-à-dire un parti de guerriers Corbeaux qui leur ont enlevé quelques chevelures et bon nombre de chevaux. Tous ont le visage couvert de boue ou de peinture noire en signe de deuil, et nous sommes obligés de faire un cadeau à chaque guerrier pour nous tirer de leurs griffes.

Après cinq jours de marche vers l’ouest, nous approchons des mauvaises terres ; aussi l’enthousiasme est grand parmi notre petite troupe.

Accompagnant un des géologues, je gravis une colline d’une centaine de mètres d’élévation, et je jouis de la vue la plus étrange et la plus incompréhensible. À l’horizon, à l’extrémité d’une immense plaine, et teintée de rose par les reflets du soleil couchant, une ville en ruine nous apparaît, une immense cité entourée de murailles et de bastions, remplie de palais couronnés de dômes gigantesques et de monuments de l’architecture la plus bizarre et la plus fantastique. De distance en distance, sur un sol blanc comme la neige, s’élèvent des châteaux crénelés et d’un rouge de brique, des pyramides au sommet aigu coiffé de masses informes qui semblent se balancer au vent : une colonne de cent mètres se dresse au milieu de ce chaos de ruines, comme un phare gigantesque.

Notre guide était triomphant, et nous parlait des merveilles renfermées dans cette cité du désert, où l’on trouve, au dire des sauvages, des animaux de toute sorte et jusqu’à des hommes pétrifiés.

Un peu plus à l’ouest, on aperçoit une chaîne de montagnes d’un bleu sombre ; ce sont les montagnes Noires, couvertes d’épaisses forêts de sapins et de cèdres, et dont le pic le plus élevé et couvert de neige est nommé par les Indiens Inian kara. Nous en sommes éloignés de quarante-huit kilomètres, et une immense plaine nous en sépare. De nombreux cours d’eau prennent leur source dans ces montagnes ; on y trouve de charmantes vallées, habitées l’été par les différentes tribus de la nation dakotah. Les ours gris, noirs et bruns, les élans, les chevreuils, les grosses cornes et les castors y abondent, et les riches prairies situées au pied des montagnes fournissent aux Indiens une quantité de racines dont ils sont très-friands, entre autres les pommes de terre des prairies, racine blanche et farineuse dont ils font leur nourriture au printemps, alors que le gibier vient à manquer complétement.

On y rencontre aussi, en grande quantité, un petit arbuste connu par les Indiens sous le nom de Kini-Kinik, et dont l’usage est général parmi toutes les tribus à l’ouest et à l’est des montagnes Rocheuses. Sa feuille qui ressemble à celle du buis, est séchée et mêlée au tabac auquel elle donne un parfum délicieux.

Comme tous les ruisseaux que nous avons traversés depuis deux jours, celui où nous campons aujourd’hui, est à demi desséché ; l’eau en est blanchâtre et salée, et en s’évaporant, elle laisse sur le sable une épaisse couche d’alkali qui de loin produit l’effet de la neige.

Ces eaux salées contiennent un purgatif violent et ne sont potables qu’avec un fort mélange de sucre et de café. Notre caravane se met en route dès le point du jour et après avoir suivi pendant une heure le lit tortueux du ruisseau, et traversé, non sans peine, une chaîne de coteaux couverts de cactus et d’herbe à bison, notre guide nous conduit vers une charmante oasis où nous campons pendant deux jours.

Nous dressons notre tente à l’ombre d’un bouquet de cotonniers et auprès d’une petite fontaine dont l’eau est douce et glacée, et nous nous étendons avec bonheur sur un tapis de gazon, semé de charmantes fleurs, mais habité par des hôtes dangereux. Pendant la nuit, nous découvrons un serpent à sonnettes dans notre tente ; attiré par la chaleur il s’était blotti dans nos couvertures de laine.

Laissant notre camp à la garde de deux hommes, nous partons pour explorer les mauvaises terres, emmenant quelques mulets de bât que nous espérons charger de pétrifications.

Nous suivons un sentier de bison qui nous conduit par une pente des plus roides, à cette étrange cité que nous avons aperçue la veille.

Passant entre deux colonnes d’une architecture antédiluvienne, et d’une élévation de deux cents pieds, nous découvrons un vaste amphithéâtre entouré de collines crénelées, dentelées, et d’une riche couleur d’ocre, une masse confuse de monticules de terre rouge ou blanche, jetées sans ordre et pêle-mêle sur un sol si dur, que les pieds de nos chevaux n’y laissent aucune empreinte. On dirait que le sol s’est affaissé tout à coup à une profondeur de deux cents à deux cent cinquante pieds, laissant de distance en distance des monticules de toutes formes et dimensions, dont les parois perpendiculaires, lavées depuis des siècles par les pluies torrentielles, déchiquetées par les neiges fondues, ont pris les formes les plus étranges et les plus incompréhensibles.

Le sol est formé par endroits d’une épaisse couche d’os pétrifiés, tantôt dans un état parfait de conservation, tantôt broyés et réduits en poussière.

Au pied des monticules gisent des tortues pétrifiées et couleur de brique, quelques-unes admirablement conservées et pesant jusqu’à cent cinquante livres, mais le plus grand nombre brisées en morceaux ; au milieu de ces restes de chénoliens, nous trouvons une tête de rhinocéros également pétrifiée, et la mâchoire d’un chien ou loup d’une espèce particulière, garnie de toutes ses dents.

Par endroits, ce sont des monceaux de dents et des débris de mâchoires brisées ; plus loin, des os et des vertèbres d’oréodon, de mastodonte et d’éléphant, enve-

    ou Loups imitent, au moyen de deux doigts placés de chaque côté du front, les oreilles pointues du loup ; les Corbeaux, par le mouvement de leurs bras, cherchent à imiter le vol d’un oiseau.