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Rien de remarquable aujourd’hui. Toujours la monotone prairie, une herbe courte et déjà desséchée, de profonds sentiers fréquentés seulement par les bisons dans leurs pérégrinations. De distance en distance, des têtes et des ossements desséchés, indiquant combien ces animaux étaient innombrables autrefois.

Vers dix heures nous nous arrêtons auprès d’un trou bourbeux dont l’eau est tellement corrompue, que nos mulets refusent de la boire.

Nous déjeunons à la hâte et quittons cet horrible bas-fond, entourés d’un nuage de moustiques qui nous mettent tout en sang.

Un orage terrible nous force à nous arrêter ; nos mulets sont attachés au chariot, et nous couchons dans les hautes herbes, sous une pluie battante.

Parfois le vent soulève notre chariot ; les nuées les plus épaisses se succèdent, pendant deux heures ; nous sommes tantôt inondés par une pluie de déluge, tantôt lapidés par une grêle dure comme de petits cailloux.

Nous nous arrêtons ce matin dans une riche vallée où coule une petite rivière, nommée par les trappeurs la rivière Moreau.

Ses bords sont fréquentés par des multitudes de faisans et de poules de prairie, et nous nous faisions une fête de nous reposer une journée dans cette charmante vallée, quand la détonation éloignée d’un coup de fusil, nous rappela que nous étions désormais en pays ennemi et nous décida à chercher pour y passer la nuit, un campement moins fréquenté des Indiens.

Traversant une chaîne de coteaux peu élevés et séparés entre eux par de nombreux ravins, nous vînmes camper dans un profond défilé, nous gardant bien d’allumer du feu et faisant bonne garde toute la nuit.

Le lendemain, nous arrivons à la rivière Grande ; notre chariot et nos mulets de bât s’embourbent dans un bas-fond marécageux planté de saules et d’osiers entrelacés les uns dans les autres.

Enfoncés dans la vase jusqu’au-dessus du genou et harcelés par des nuées de moustiques, nous finissons par nous y frayer un passage après quatre heures de travail et nous campons sur un petit coteau qui domine la rivière.

Le lit de ce cours d’eau est jonché d’une quantité de pierres rondes, faciles à briser et contenant une grande variété de coquillages et de limaçons pétrifiés dans un état parfait de conservation.

Femmes sioux.

Nous marchons toute la journée suivante dans une plaine immense, sur un sol tantôt aride, tantôt couvert d’herbe à bison et de cactus en fleur.

On dirait un calme plat sur l’Océan, et l’on chercherait vainement à l’horizon un buisson ou une touffe d’herbe plus élevés que les autres.

Nous campons dans un bas-fond marécageux et nous passons une horrible nuit au milieu d’un nuage épais de moustiques.

Non contents de boire notre sang, ils voltigent autour de nous par millions et nous remplissent les oreilles de leur horrible bourdonnement.

C’est un concert infernal auquel se joignent les hurlements d’une nombreuse troupe de loups qui cherchent à s’approcher de nos mulets.

Vers minuit, nos mulets tourmentés par les moustiques et épouvantés par les loups, arrachent leurs piquets et disparaissent dans la prairie, sans qu’il soit possible de les suivre, tant les ténèbres sont épaisses.

Dès qu’il fait jour, deux de nos hommes partent à la recherche des mulets, et la journée se passe dans la plus grande inquiétude.

Vers le soir, nous découvrons un nuage de poussière à l’horizon et nous distinguons bientôt les mulets et les chevaux conduits par un de nos hommes qui les a trouvés à notre campement de la veille. Poursuivis, sans doute, par les loups, ils avaient couru toute la nuit, et parcouru une distance de quarante kilomètres.

Il nous manque encore un de nos voyageurs, un sang-mêlé ; qui se sera sans doute égaré ; on allume un grand feu de bois de vache, on tire des coups de fusil, au risque d’attirer l’attention des Indiens : la nuit se passe ainsi sans qu’il soit arrivé.

Le lendemain, nous battons le pays en tous sens pour le retrouver, et après trois jours de recherches infructueuses, nos provisions commençant à diminuer, nous nous décidons à continuer notre route. Avant de quitter cet horrible trou que nous surnommons le Camp du Diable, on attache une vieille chemise en guise de drapeau au bout d’une longue perche et on y cloue une lettre indiquant au métis égaré la direction que nous devons suivre.

Nous avons le cœur bien triste, car nous aimions tous notre pauvre compagnon, le plus gai et le plus actif de la bande, un boute-entrain et un conteur infatigable qui amusait tout le monde au bivouac. Nos hommes commencent à se décourager et attribuent notre mau-