Page:Le Tour du monde - 10.djvu/126

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caires appartenant à la formation qu’on désigne en géologie sous le nom de lias, comme les hauteurs qui dominent la Tamina aussi bien que le fond même de tout ce bassin sont granitiques, il est vraisemblable que le trajet des eaux souterraines s’opère au moins en partie dans des roches de cette dernière espèce et que c’est la qu’elles prennent leur richesse. Elles n’en sont pas moins parfaitement limpides et ne possèdent ni saveur, ni odeur sensibles, bien que les personnes douées d’une délicatesse excessive prétendent y démêler une odeur légèrement sulfurée et une saveur savonneuse. Malgré leur tiédeur, elles se boivent volontiers et en général elles se digèrent bien[1].

L’eau sort du rocher par plusieurs fissures à quelques mètres au-dessus du courant de la Tamina. Son débit, comme nous l’avons déjà dit, est variable, mais sa température parait invariablement fixée à trente-sept degrés centigrades. On distingue deux sources principales situées à quelques mètres l’une de l’autre et qui ne sont évidemment que les extrémités d’une bifurcation du canal. D’après les mesures prises en juin 1840 par une commission scientifique, la première donnerait quatorze cent vingt-cinq mesures (mass) par minute, la seconde, trois cent soixante-treize ; on peut considérer ces chiffres comme une moyenne. Ce débit est énorme, car il s’ensuit que les eaux étant partagées entre trente baignoires, il passe dans chaque baignoire, en une demi heure, durée ordinaire du bain, dix-sept cent quatre vingt-quinze mesures.

La fissure par laquelle débouchent les eaux vient justement joindre la fente principale dans l’endroit ou celle-ci est le plus étroite. Avant qu’on eût pratiqué au-dessus du lit de la Tamina une galerie suspendue au rocher qui permet de l’atteindre, la source ne paraissait donc aux yeux des hommes que dans les profondeurs d’un gouffre obscur, taillé a pic, et du sein duquel s’échappaient les vapeurs en même temps que le retentissement des eaux tumultueuses du torrent contrarié dans sa marche. Selon la tradition, c’est au onzième siècle seulement que se serait effectuée la découverte de cette source destinée à remédier si efficacement à une partie des maux qui affligent l’humanité ! Les Romains qui recherchaient si avidement les eaux thermales, n’auraient sans doute pas laissé perdre celles-ci, lors de leur occupation de la Rhétie, si elles n’avaient été cachées au milieu des forêts et dans un site aussi inaccessible. C’est, dit-on, un chasseur du couvent de Pfãfers qui, cherchant à dénicher des oiseaux, s’avança jusqu’au dessus du gouffre et frappé de l’aspect des vapeurs qui en sortaient, se fit descendre avec une corde et toucha de ses mains les torrents d’eau chaude qui se précipitaient à cet endroit dans la Tamina. Quoi qu’il en soit de cette histoire, il paraît certain que ce fut seulement deux cents ans plus tard que la source fut utilisée pour les malades. Un manuscrit de la bibliothèque du couvent, écrit au commencement du quinzième siècle, semble indiquer qu’elle avait été complètement perdue de vue durant cet intervalle. « Là, dans les replis d’une montagne très-élevée, sortait l’eau chaude, et pendant deux cents ans elle n’avait point paru lorsqu’en fin-elle fut découverte par hasard. » Ç’aurait donc été une seconde découverte, mais celle-ci du moins ne fut pas mise en oubli. L’abbé Hugo de Villingen, qui gouvernait l’abbaye au milieu du treizième siècle et aux domaines duquel appartenait cette belle source, fit exécuter les premiers travaux qui aient permis d’y accéder ; et, si imparfaits qu’ils aient été, plus encore sans doute par la tante du temps que par celle de leur ordonnateur, il ne faut pas moins rapporter à cet abbé l’honneur d’avoir indirectement fondé par son initiative intelligente les établissements actuels de Pfäfers et de Ragaz ; et il n’y aurait que justice à placer sa statue, soit à l’entrée de la caverne, soit dans la sombre niche qui s’élève au-dessus de la source.

C’est à la fin du quatorzième siècle seulement qu’appartient a proprement parler le premier établissement de bains. Cet établissement était situé au fond même du gouffre, installé sur des madriers passés en travers de la Tamina et encastrés à droite et à gauche dans le rocher. Il consistait en plusieurs cellules et trois grandes piscines où l’on se baignait en commun. On se figure l’horreur d’un pareil séjour, les ténèbres, à peine la vue du ciel et de la verdure à travers une étroite fissure perdue dans la hauteur, sous le plancher un torrent mugissant et terrible, et, pour toute perspective de noires murailles s’enfonçant dans la nuit. La descente dans ce gouffre était effrayante. Il n’y avait d’autre moyen d’y accéder que par des échelles pour les plus hardis et un siège suspendu à l’extrémité d’une longue corde pour les plus timides et les plus faibles. Beaucoup ne consentaient à se laisser glisser dans l’abîme qu’après s’être fait bander les yeux ; quelques-uns reculaient épouvantes et renonçaient à la guérison plutôt que d’en surmonter les préliminaires. Pascalis qui était notre ambassadeur chez les Grisons sous Henri IV, nous a laissé une description précieuse des bains de Pfäfers en vers latins, In Fabariæ thermas. On y voit l’impression sérieuse qu’ils causaient, impression dont, grâce à notre goût pour les accidents pittoresques, nous sommes aujourd’hui bien revenus. En voici le début.

« Il existe chez les Rhétiens un autre merveilleux par sa grandeur. D’horribles rochers couverts de mousse se hérissent tout autour. La face des ombres et de la nuit

  1. gr.
    Chlorure de sodium 0,515
    Chlorure de calcium 0,030
    Bromure de calcium 0,005
    Iodure de sodium 0,002
    Sulfate de soude 0,092
    Sulfate de magnésie 0,197
    Sulfate de chaux 0,073
    Carbonate de chaux 1,422
    Carbonate de magnésie 0,292
    Alumine 0,011
    Oxyde de fer 0,009
    Traces de sulfate de baryte 0,155
    Silicate de chaux
    Silicate d’alumine
    Silicate de magnésie
    Substances organiques 0,110