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ser qu’à l’époque où les deux nations vivaient sous d’autres latitudes, n’ayant qu’un idiome commun, leur caractère devait avoir une parité qu’il a perdue en changeant de climat et de langue.

La température élevée du pays qu’habite le Chontaquiro, la beauté des sites, la pureté de la lumière, la gaieté des horizons, les ressources abondantes qu’offrent les forêts et les eaux pour la chasse et la pêche, enfin la presque certitude qu’a toujours l’indigène, après avoir déjeuné hier, de dîner aujourd’hui et de souper demain, ces avantages qu’il possède et dont il jouit instinctivement, ont équilibré son moral, épanoui son physique et mis un sourire constant sur ses lèvres lippues.

L’Antis, au contraire, retranché dans ses gorges pierreuses qu’assiégent d’effroyables tempêtes ou que noient des pluies diluviennes, l’Antis relégué au bord de ses rivières torrentueuses dont les eaux à demi glacées par le voisinage des neiges de la Sierra, nourrissent à peine trois variétés de chétifs poissons, l’Antis battant le bois toute une journée avant d’y trouver le quadrupède ou l’oiseau dont il s’alimente, a contracté dans la lutte incessante de son appétit inassouvi contre la misère, cette tristesse famélique, qu’on remarque en lui à première vue. Rien n’assombrit plus la physionomie que de ne pas savoir si l’on dînera. Or l’existence des Antis est soumise à cette perpétuelle inquiétude, d’où il s’ensuit que leur physique, comme certains pitons, est toujours voilé de nuages.

Les formes du Chontaquiro sont plus robustes et mieux réussies que celles de l’Antis, sa force et son agilité plus grandes. Il a le cou court, les épaules larges, de puissants pectoraux et des bras dont le deltoïde et le biceps saillent au moindre geste. Cette robustesse, conséquence logique de son hygiène, dénote l’accord souverain qui existe chez lui entre les membres et l’estomac. Pourquoi, en effet, quand messer Gaster est heureux et toujours satisfait, les membres qu’il gouverne comme un roi ses sujets, ne participeraient-ils pas de sa généreuse pléthore ?

Si l’Antis excelle à conduire un canot dans les torrents et les rapides, le Chontaquiro est sans rival dans la navigation sur les eaux calmes. Pour lui, la rame est un jouet et la pirogue un esclave qui se plie à tous ses caprices ; il pèse sur elle, l’agite en tous sens, la fait tournoyer, la lance comme une flèche, l’arrête brusquement et sans que la volage embarcation coure quelque danger à cet oubli complet des lois de l’équilibre. L’exercice de la pirogue par les Chontaquiros peut être comparé à celui du cheval par les Gauchos des llanos-pampas.

Ces Indiens ajoutent au sac-tunique des Antis un capuchon qui abrite leur tête contre le soleil et défend leur cou contre la piqûre des moustiques. Les femmes n’ont d’autre vêtement qu’une bande de coton tissé, large d’un pied et teinte en brun, qui ceint leurs flancs et tombe jusqu’à-mi-cuisses. Leur luxe consiste en verroteries qu’elles suspendent à leur cou ou dont elles entourent leurs poignets en manière de bracelets. Une certaine quantité de ces babioles que leurs époux se procurent dans les missions péruviennes et dans les comptoirs brésiliens, en échange de cire, d’huile de lamentin ou de graisse de tortue, constitue chez ces indigènes la qualité de bonne ou de femme à la mode. Quelques élégantes portent attachés à ces colliers cliquetant qui leur pendent jusqu’au nombril, des pièces d’argent aux armes de la république du Pérou, ou des sous de cuivre à l’effigie de l’empereur du Brésil.

Une remarque que nous avions faite in petto à propos des femmes des Antis et que nous ne pouvons nous empêcher de faire à haute voix au sujet des femmes des Chontaquiros, c’est que, jusqu’ici, la plus belle moitié du genre humain, nous a paru chez ces indigènes en être la plus laide. Qu’on se figure comme prototype du genre, une femme haute de quatre pieds quatre pouces, avec des cheveux dont la rudesse rappelle le crin d’une brosse à habit. Ces cheveux, d’un noir mat avec des reflets fauves, sont coupés carrément à hauteur de l’œil, mode étrange et peu gracieuse, qui oblige une femme lorsqu’elle veut regarder devant soi, à pencher brusquement la tête en arrière, comme certains chevaux, qu’on corrige de cette manie par l’application de la martingale.

L’épiderme de ces femmes est si épais et les papilles nerveuses qu’il recouvre sont si dilatées par le choc fréquent de corps durs, la piqûre des insectes, la fréquence des bains et les intempéries de l’air, qu’on le prendrait de près pour le réseau d’une cotte de mailles ; c’est âpre au toucher, comme la face postérieure de certaines feuilles végétales.

Les belles lignes serpentines de la statuaire grecque n’évidèrent jamais ces corps féminins, dont l’embonpoint, dès la seizième année, tourne et l’obésité et donne au torse des vierges comme à celui des matrones, je ne sais quel air de potiches ventrues. Le cordon ombilical maladroitement coupé à la naissance de l’enfant, devient chez l’adulte un œuf charnu de la grosseur du poing, et ajoute à cette partie du corps qui s’en passerait volontiers, un facétieux appendice. Les pieds de ces femmes en contact incessant avec les broussailles épineuses de la forêt ou les cailloux des plages, sont sillonnés de profondes gerçures, et leurs mains que le travail a durcies de bonne heure, pourraient remplacer avantageusement, pour le polissage du bois, la pierre ponce ou le papier de verre.

Fi l’horreur ! exclamera peut-être une de nos lectrices, mais l’original d’un pareil portrait est un animal et non pas une femme ! Hélas ! madame ou mademoiselle, répondrons-nous, nous n’inventons rien et ne sommes qu’historien véridique. Toutefois le portrait qui vous choque est encore incomplet, et pour l’achever, nous ajouterons que le visage est rond, le front bas et étroit, les pommettes saillantes, les yeux petits, obliques et bridés par les coins ; que ces yeux à sclérotique jaune et à pupille couleur de tabac d’Espagne, sont souvent privés de cils, presque toujours dépourvus de sourcils et s’harmonisent tant bien que mal à un nez fortement aquilin ou singulièrement épaté, à une bouche grande avec des lèvres épaisses et des dents courtes, mais blanches, comme celles d’un jeune chien.