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Madagascar sans une assemblée préalable : c’était, en ce cas, le kabar de l’hospitalité.)

Quand chacun eut pris place, il y eut une minute de recueillement. Le chef prit alors la parole, et, réunissant devant lui le riz et les poissons qu’avaient apportés les femmes, il nous adressa le discours suivant :

« Ô vasas (hommes blancs) ! soyez les bienvenus dans ce village, la case qui vous abrite est à vous, et nos bras sont à votre disposition ; nous sommes pauvres, ô vasas, mais nos offrandes viennent du cœur ; acceptez donc avec bienveillance ce riz que nous avons planté et ces poissons qui viennent de nos lacs, c’est tout ce que nous possédons. »

Nous serrâmes la main de ces bonnes gens, en signe de remercîment, et Ferdinand, qui nous avait traduit la petite harangue, leur traduisit aussi notre réponse. Il leur dit que nous étions touchés de la généreuse hospitalité qu’ils nous offraient, et leur présentant également, sur une feuille de ravenal, une piastre accompagnée de quelques hameçons et divers menus objets, il ajouta que nous les priions d’accepter ces légers présents, non comme prix de leurs offrandes, mais comme un souvenir de notre part. Nous leur fîmes en même temps verser quelques verres d’arack, qu’ils burent à notre santé ; puis, se recueillant encore, l’un d’eux prit la parole et nous dit :

« Nous remercions les nobles étrangers de leurs procédés pour nous et des touchantes faveurs qu’ils nous accordent ; nous ne sommes point habitués à voir les Ovas, nos maîtres, et les vasas voyageurs nous traiter avec tant de douceur ; nous les remercions donc de toute notre âme. En sortant de cette case aujourd’hui consacrée par leur présence, nous montrerons à nos femmes et à nos enfants les présents, objets de leur munificence ; le souvenir de leur bonté ne s’effacera point de notre mémoire, et la tradition le perpétuera jusqu’à nos arrière-neveux et nos petits-enfants. »

Nous étions véritablement touchés de la bonté de ces braves gens ; les Ovas durent avoir beau jeu à soumettre des populations aussi douces, et la férocité qu’ils déploient à la moindre velléité de révolte, n’est que de la barbarie toute pure.

Pendant que les esclaves de Ferdinand s’occupaient du souper, notre petite troupe se divisa ; les uns coururent explorer les bois, d’autres voulurent battre les roseaux des lacs à la recherche des canards.

Notre chasse ne fut pas des plus heureuses. Les pintades que l’on nous avait dit fort communes fréquentent les forêts plus reculées, et nous ne rapportâmes que des perroquets noirs, gros comme des poules et délicieux en salmis, des merles étiques et beaucoup de petites perruches à tête bleue de la taille d’un moineau ; quant aux makis (espèce de singe) il nous fut impossible d’en trouver aucun. Les bois sont hauts, touffus, mais les gros arbres sont rares, la végétation parasite les dévore, les lianes et les orchidées surtout, dont plusieurs sont de couleurs et de formes ravissantes.

En regagnant le village, nous fîmes route avec des jeunes filles revenant de la fontaine. Elles étaient chargées d’énormes bambous dans lesquels elles renferment leur provision d’eau, qui s’y maintient fraîche et pure ; mais leur manière de porter ce fardeau n’est point gracieuse ; il est impossible de rien trouver de poétique dans ce grand roseau lourdement placé sur l’épaule comme une charge d’esclave ; les images si facilement évoquées de l’antiquité, ces tableaux charmants des Rebeccas et des jeunes Grecques aux amphores élégantes, se refusent a tout parallèle avec ces Malgaches crépues qui, malgré toute notre bonne volonté, nous semblèrent gauches et malhabiles.

Ces femmes étaient du reste vêtues de rabanes grossières ; elles semblaient pauvres et malheureuses ; c’est que le village placé sur la route de Tananarive est sans cesse exposé aux visites des Ovas. Les habitants courbés sous le joug de fer de leurs maîtres, supportant des corvées continuelles et sujets à des exactions de toutes sortes, renoncent au bien-être qu’ils ne peuvent conserver et tombent dans un morne désespoir. À quoi bon de belles cases ? on les leur brûle ; à quoi bon de beaux vêtements ? on les en dépouille ; de quoi serviraient des provisions ? on les leur vole. La misère fut toujours l’ennemie de l’élégance et des arts ; elle est pour l’homme le fardeau le plus lourd et le tyran le plus impitoyable. Dans d’autres parages nous devions retrouver le Malgache plus semblable à lui-même ; moins de douleur et de souffrance, plus de sourires et plus de grâces.


IV


Lac de Nossi-Be. — Nossi-Malaza. — Le chef du village et sa famille. — Intérieur malgache. — Mœurs malgaches.

Le climat de la côte de Madagascar à la hauteur de Tamatave est loin d’être enchanteur ; cette contrée si peu connue ne mérite ni les éloges qu’on prodigue à la douceur de sa température et à la fertilité de son sol, ni l’effroyable surnom de « tombeau des Européens » que des voyageurs timides lui jettent dans leurs relations.

Le climat est humide et pluvieux, froid et brûlant tour à tour ; voilà pour l’éloge. Quant à la terrible fièvre, minotaure impitoyable dévorant l’audacieux colon ou l’imprudent touriste, nous devons avouer que dans nos fréquentes excursions, alternativement exposés à l’action du soleil et de la pluie, souvent mouillés jusqu’aux os, aucun de nous n’en a éprouvé le moindre symptôme. À Tamatave même, peuplée de plus de trois cents Européens, l’on nous assura que, depuis deux ans, pas un d’eux n’avait succombé aux atteintes de ce mal. Voilà pour le blâme.

Il est vraiment triste de voir les voyageurs donner à leur imagination si libre carrière au sujet de renseignements dont la vérité seule forme la valeur, et, s’égarant, entraîner tant de gens après eux ; toujours extrême dans ses écarts, une relation dénigrant ou flatteuse, trompe celui qu’elle attire et trompe celui qu’elle arrête ; désenchantement d’un côté, désastreux renoncement de