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Pour son chant, le premier thème venu lui est bon ; il prend une parole quelconque, une phrase, un mot, et le répète à satiété avec un chœur qu’il improvise.

La conversation fait ses délices ; il aime, il adore l’éloquence comme une mélodie ; il causera longtemps de choses futiles, au besoin de non sens, et l’orateur de quelque talent trouvera toujours des auditeurs charmés.

Lorsque l’entretien vient à languir, on cherche et on improvise à la façon des sophistes une énigme, une charade (rahamilahatra), mot à mot, « des paroles qui s’alignent. » En voici un exemple :

« Trois hommes, portant l’un du riz blanc, l’autre du bois coupé, le troisième une marmite, et venant de trois directions différentes, se rencontrent près d’une source, dans un lieu aride, éloigné de toute habitation. Il est midi et chacun d’eux n’ayant encore rien mangé est fort désireux d’apprêter le repas, mais ne sait comment s’y prendre, puisque le maître du riz n’est pas le maître du bois et que celui-ci ne peut disposer de la marmite. Cependant chacun y met du sien et le riz est bientôt cuit.

« Mais au moment du repas chacun réclame pour lui seul le déjeuner tout entier ; quel est le maître du riz cuit ? »

Les auditeurs malgaches sont indécis, chacun des trois hommes paraissant avoir un droit égal au déjeuner. Voilà un bon thème à paroles.

C’est ce qu’ils appellent faka-faka, discussion, dispute ; chaque parleur peut en cette occasion faire preuve de son talent oratoire.

La tradition malgache fourmille de fables, de contes (angano), de proverbes (ohabolana), de charades et d’énigmes (fa mantatra), de sonnets, de ballades ou de propos galants (Rahamilahatra et Tankahotro).

Cimetière malgache. — Dessin de E. de Bérard.

Les contes sont d’habitude entremêlés de chants et chacun les raconte en y ajoutant un peu du sien. Les enfants les font invariablement précéder du prologue suivant :

« Tsikozonenineny, tsy zaho nametzy fa olombé taloha nametzy tanny mahy, k’omba fitsiako kosa anao. »

« Je ne mens pas, mais puisque de grandes personnes ont menti avec moi, permettez que je mente aussi avec vous. »

Certaines fables ont l’autorité d’une croyance religieuse. Nous reproduisons les suivantes comme exemples de genres différents.


LE PREMIER HOMME ET LA PREMIÈRE FEMME.


« Dieu laissa tomber du ciel l’homme et la femme tout faits. L’homme fut quelque temps à connaître sa femme et sa compagne fut la première à déchirer son voile d’innocence. La femme conçut.

« Dieu apparut alors aux deux époux et leur dit : « Jusqu’ici vous ne vous êtes nourris que de racines et de fruits comme les bêtes sauvages, mais si vous voulez me laisser tuer votre enfant, je créerai avec son sang une plante dont vous tirerez plus de force. »

« L’homme et la femme passèrent la nuit tour à tour à pleurer et à se consulter ; la femme disait à l’homme : « Je préfère que Dieu me prenne plutôt que mon enfant ; » l’homme, sombre et recueilli ne disait rien.

« Le jour venu, Dieu parut avec un couteau bien aiguisé, leur demandant ce qu’ils avaient résolu. La femme en voyant ce couteau formidable, tranchant comme une sagaie neuve et brillant comme l’éclair, s’écria : « Ô mon Dieu, prends mon enfant ! »

« Mais l’homme au contraire pressa son enfant sur son cœur, le remit à sa mère, et, se couchant la poitrine