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de rabanes et d’étoffes pour les renouveler ; de l’autre un grand approvisionnement de riz devait fournir à la consommation de la famille. Le foyer et les divers ustensiles se trouvaient dans un coin.

Je vécus trois jours au milieu de ces gens si doux, entouré de soin et d’égards ; je leur avais accordé une affection vraie, comme j’avais conquis la leur et lorsque je partis, tous m’accompagnèrent au rivage. L’aïeule de la tribu, la femme du vieux chef voulut me bénir ; et comme les flots soulevés menaçaient ma pauvre pirogue, elle étendit ses bras comme prophétesse, priant le ciel le Vasa pût sans péril regagner sa demeure et revoir sa patrie.

Il n’y avait point là de cérémonie de commande. L’impromptu de cette scène d’adieu, l’invocation touchante de l’aïeule, ces vœux, cette prière, prouvaient que le cœur parlait ; le mien y répondit. J’avoue naïvement mon émotion et ce charmant souvenir ne s’effacera point de ma mémoire.


V


La tirelire du géant d’Arafif. — Soamandrakisaï. — Ferdinand Fiche et les Ovas. — Souper. — Une nuit à l’habitation. — Les esclaves.

En quittant Nossi-Malaza, nous suivîmes d’autres canaux dont quelques-uns étaient tellement étroits qu’à peine notre pirogue pouvait y passer. D’autres étaient larges comme un fleuve, et, tous également barrés au moyen de claies de roseaux, formaient autant de pêcheries destinées à nourrir les habitants. Nous visitâmes les îles éparses çà et là. Quelques-unes, plantées de manguiers d’une verdure éternelle, servent de retraite aux riches habitants de Tamatave. Dans l’une d’elles, Ferdinand nous montra la tirelire du géant d’Arafif.

Andrian-Mandrousso, gouverneur de Tamatave (voy. p. 220). — Dessin de G. Staal.

Cette tirelire est une sphère de quatre-vingt-dix centimètres de diamètre, munie d’une petite ouverture, et qui fut, selon la légende, laissée en cet endroit par le géant d’Arafif, puissant roi du nord, auquel on prête une foule de hauts faits. Une autre version prétend qu’elle fut apportée par Benyouski lorsqu’il vint conquérir le sud de Madagascar. Ce ne pourrait être en tous cas que l’un de ses lieutenants, car il ne fit jamais en personne d’expédition dans ces parages ; l’urne me parut être d’origine arabe ; elle est fort ancienne et quelques forbans durent la laisser sur ces rivages.

Quoi qu’il en soit, la crédulité malgache en fit un objet de sainteté, une relique vénérable, et le lieu où elle gît est devenu le but d’un pèlerinage. Chaque Malgache passant dans les environs se détournait de sa route et venait selon ses moyens déposer une offrande dans la tirelire sacrée ; le trésor s’accrut avec le temps, et lorsque le fétiche contint dans ses flancs une somme assez considérable, des Ovas sacriléges portèrent la main sur le dieu ventru : ils brisèrent la tirelire et s’emparèrent du contenu.

Aujourd’hui l’ancienne idole gît éventrée comme une citrouille desséchée ; les fidèles néanmoins viennent encore en pèlerinage, prodiguer à leur fétiche profane de nouvelles mais plus innocentes offrandes : le sol tout alentour est jonché de pattes de poulets, de cornes de bœufs, de petits morceaux de rabanes et de nœuds de roseaux pleins de betza-betza. D’une valeur trop minime pour tenter la cupidité des incrédules, ces pauvres hommages restent épars auprès de la tirelire et jettent sur ce coin de terre un voile de désolation recouvert de sauvage poésie. Nous ramassâmes religieusement un morceau de ce dieu tombé et nous le gardons comme souvenir de l’inconstance des hommes et de la fragilité de leurs croyances.

De l’île de Papay où se trouvait la tirelire, nous allâmes déboucher dans la rivière d’Ivondrou que nous avions quittée quelques jours auparavant et qu’il nous fallut remonter pour atteindre Soamandrakisaï.

Les bords de la rivière sont plats et dénudés de végétation ; la chaleur était accablante ; cinq journées d’excursions nous avaient abattus, et nous arrivâmes avides de repos.

Soamandrakisaï est une vaste distillerie montée jadis par M. Delastelle et dont Ferdinand Fiche est aujourd’hui le directeur. Comme d’après le code ova et la vo-