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un chaos de roches entassées les unes sur les autres, que bornent à l’horizon les grandes plaines arides.

Par leur altitude, ces montagnes de Tcha-tao mériteraient plutôt le nom de collines ; mais les effets du feu volcanique qui les a soulevées y sont si visibles, qu’elles sont restées dans la mémoire des voyageurs comme le type d’un des bouleversements les plus formidables de la nature.

Dès qu’on eut franchi la porte de Sin-young-couan, on trouva une route moins difficile ; les rochers devenaient plus rares et laissaient voir un peu de terre végétale ; des herbes vertes et quelques arbustes égayaient le paysage qui perdait peu à peu son aspect sauvage et désolé.

Il est remarquable qu’à cette époque de l’année, au mois de mai, cette grande route du nord couverte en automne de caravanes, de voitures, de cavaliers et même de portefaix qui transportent le thé en briques aux frontières de Mongolie, soit si peu fréquentée qu’on y rencontre à peine pendant toute une journée quelques charrettes de marchands ambulants ou quelques ânes servant de montures aux misérables habitats du pays.

Quelques instants avant d’arriver à Tcha-tao, qui n’est qu’à une demi-heure du défilé, la route se bifurque pour correspondre à deux entrées de la ville et à ses deux rues principales.

Tcha-tao est une petite ville de deux à trois mille âmes, d’un aspect peu animé, et bien moins peuplée en raison de sa grandeur que ne le sont ordinairement les villes chinoises.

En arrivant à l”hôtellerie, qui est à l’extrémité de la ville, les voyageurs eurent le courage, malgré les fatigues qu’ils venaient de supporter, d’aller visiter les remparts, les tours crénelées et les portions de courtines qui lui donnent un aspect remarquable de ville fortifiée.

Cette ancienne enceinte de Tcha-tao, bâtie en pierres de la montagne comme ses maisons, est en partie détruite par l’action du temps et des hommes ; les fortifications antérieures à l’établissement de la dynastie mandchoue sont complétement abandonnées.

Les nomades, en conquérant la Chine, ont été conquis à leur tour par la civilisation chinoise, et les souverains actuels, suzerains de la Mandchourie et de la Mongolie, n’ont plus rien à craindre des Barbares du Nord.

Les voyageurs partirent de Tcha-tao le lendemain 20 mai à six heures et demie du matin ; ils traversèrent dans la direction ouest-nord-ouest une vallée assez déserte, d’une grande étendue et plantée çà et là de rares bouleaux.

Il faisait très-froid : le thermomètre était descendu à quatre degrés centigrades au-dessous de zéro ; le vent du nord soufflait avec fureur et la poussière de sable, comme la houle en mer, précédait les rafales.

Avant d’arriver à Houai-lai où l’on devait déjeuner, on traversa sur un pont escarpé une petite rivière torrentueuse ; la chaussée qui précède ce pont est à moitié détruite, et il fallut littéralement monter à l’assaut pour franchir ce passage difficile.

« Nous avons déjeuné assez confortablement à Houai-lai, et nous y avons reçu les hommages d’un mandarin militaire en tournée dans la province.

« Ce petit homme, après nous avoir adressé d’une voix aigre les trois questions que fait toujours un Chinois bien élevé : « Quel âge avez-vous ? comment vous appelez-vous ? où allez-vous ? » nous a fait assister à une scène de reconnaissance avec notre mandarin d’escorte, natif comme lui de la province de Hou-pé.

« Ils se sont abordés en se saluant avec les deux poings fermés à hauteur du menton, puis ils se sont pris la main droite avec la main gauche, puis enfin se sont jetés avec effusion dans les bras l’un de l’autre, en se donnant à tour de rôle des baisers de théâtre ; après quoi ils se sont disputés pendant un quart d’heure pour savoir lequel passerait devant l’autre.

« Cet officier avait au moment de notre arrivée la queue enroulée autour de la tête, ainsi qu’il convient à un voyageur ; mais comme il est irrespectueux de se présenter ainsi devant des étrangers, il s’est empressé à notre vue de la rabattre sur son dos. Que de cérémonies exige l’étiquette chinoise !

« J’ai remarqué aussi pendu à sa ceinture un morceau de linge d’une propreté plus que douteuse : il paraît que c’est sa serviette de voyage. Comme on ne vous en fournit pas dans les auberges, il est bon de se précautionner.

« À ce propos, je noterai de nouveau qu’il est impossible de se procurer de l’eau froide : les Chinois n’en comprennent pas l’usage, et chaque fois que j’en demande, on m’apporte de l’eau bouillante. »

Houai-lai est une petite ville murée de cinq mille âmes, monotone comme le paysage qui l’entoure ; en la quittant, on continue à traverser la même vallée aride.

« Quelque temps avant d’arriver à So-tchen, nous avons eu un orage qui a amené des effets de lumière bien curieux ; l’horizon était couvert de nuages transparents et lumineux, et la poussière jaune apportée par le vent donnait à tout le paysage un aspect bleuâtre que je n’ai vu nulle part.

« On aurait dit que la nature était éclairée par des feux de Bengale !

« Ne serait-ce pas le mélange du vert des arbres et des prés avec le jaune du sable qui donnait cette teinte bleue à tout ce qui nous entourait, et même à nos habits et à nos figures ? »

So-tchen, petite ville de quatre mille âmes, est située sur un coteau qui domine la vallée.

Il fallut traverser la ville pour arriver à l’auberge placée près d’une muraille qui divise So-tchen en deux parties du nord au sud.

Ou y remarque plusieurs tours en ruine, et une série de remparts qui annoncent une ancienne ville forte.

Ce fut à So-tchen que les voyageurs passèrent la nuit.

On en partit le lendemain de bonne heure, car on avait à parcourir cinquante-sept kilomètres pour arriver à la grande ville de Suan-hoa-fou, où on devait prendre quelque repos.