Page:Le Tour du monde - 10.djvu/313

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en drap noir, les grandes bottes à l’écuyère, et le large chapeau de feutre.

« Ville toute chinoise malgré son voisinage des nomades, Kalgan ne manque d’aucun des spécimens de la civilisation chinoise.

« J’y ai vu cheminer gravement plus d’un lioutsaï ou licencié, méditant sur les chances du prochain concours ; j’ai pu, en parcourant ces rues tortueuses, entendre retentir dans l’intérieur de plus d’une maison bourgeoise, non le son d’un piano (cela viendra sans doute), mais tout au moins celui d’un théorbe chinois aux mains de quelque belle musicienne. Qu’ajouterai-je encore ? Un savant de Kalgan, représentant à lui seul la Société de géographie de la localité, m’a glissé dans la main avec une ténacité et une obséquiosité toutes chinoises, une mappemonde de sa façon, aussi extraordinaire que celle dont j’ai parlé plus haut ; on en pourra juger par la reproduction que l’on trouvera page 318. Enfin, pour ne rien oublier, je dois mentionner que d’honnêtes citadins de Kalgan s’adonnent innocemment à l’élève de petits crustacés dans des bocaux de verre pleins de feuilles de lieuwa ou lotus chinois, ni plus ni moins que je l’avais vu faire à Shang-haï et à Pékin.

Parc du palais impérial de Suan-hoa-fou. — Dessin de Lancelot d’après l’album de Mme de Bourboulon.

« On voit beaucoup de Mongols à Kalgan : ces enfants du désert, totalement étrangers aux mœurs et aux habitudes de la Chine, y campent dans les auberges comme s’ils étaient dans leurs steppes ; au lieu de placer leurs animaux dans les écuries, et d’accepter les chambres qu’on leur offre, ils dressent leurs tentes au milieu de la cour, et attachent leurs chevaux à des pieux qu’ils enfoncent autour de leur domicile improvisé : ils font la cuisine dans leurs tentes avec les bouses séchées qu’ils ont apportées du désert dans de grands sacs, se couchent sur leurs couvertures de feutre, et rien ne pourrait les décider, ni à prendre place sur les kangs, ni même à se servir du feu des cuisines pour faire bouillir leurs aliments.

« Les aubergistes ne leur en font pas moins payer cette hospitalité forcée tout en les traitant de Moukouti gen[1], gens de Mongolie.

« Me voici arrivée dans la rue des marchands d’habits : c’est à eux que j’ai affaire. Il y a beaucoup plus de fripiers que de magasins de costumes neufs. Ici on n’a pas la moindre répugnance à s’habiller avec la dépouille d’autrui, à laquelle le revendeur ne songe même pas à redonner un peu de lustre, bien heureux même s’il daignait la faire nettoyer ; tous ces amas de vêtements proviennent des monts-de-piété qui les ont revendus, une fois que le délai fixé par le remboursement a été dé-

  1. Il est curieux de constater que le mot chinois gen a certainement la même racine que le mot latin genus, dont on a fait en français genre et gens.