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décrire, ajoutait M. Russell, est peut-être encore le moins cruel de ceux qu’on inflige en pareil cas. On cite, en effet, des localités où l’on dépèce vivante, morceau par morceau, la victime offerte aux dieux.

« D’après M. Ricketts, qui avait accueilli ces renseignements sur la frontière du Bengale, les Khonds avaient surtout recours aux sacrifices humains lorsqu’ils s’adonnaient à la culture du safran, et, raisonnant à froid sur ce sujet, ils déclaraient impossibie d’obtenir sans effusion de sang que cette plante leur donnât une belle couleur foncée à laquelle ils attachent un grand prix. Du reste, sur le sacrifice lui-même, les versions variaient à l’infini. En certains endroits, on étouffait la victime entre deux planches de bambou, graduellement resserrées autour de son buste, et c’était seulement lorsqu’on la voyait aux prises avec la suprême angoisse, que le prêtre, à coups de hache, séparait son corps en deux. Ailleurs, nous disait-on, le cadavre est enfoui sans mutilations préalables ; mais, dans ce cas, la croyance générale limite le profit du sacrifice au domaine de celui qui en a fait les frais. Ainsi s’explique l’empressement des Khonds à se partager les débris pantelants du cadavre et à les disséminer sur la plus grande étendue de territoire possible ; l’offrande, pour être efficace, devant avoir lieu dans la journée même où le rite sanglant a été accompli, ou a vu transporter et des distances incroyables, par des relais de coureurs établis tout exprès, les misérables débris de cette boucherie humaine. Tous les enfants ou adolescents que les Khonds se procuraient par l’entremise de Panoos n’étaient pas invariablement destinés au rôle d’offrandes propitiatoires. Un certain nombre, sous le nom de possia poes, formés de bonne heure aux soins domestiques ou aux travaux des champs, passaient peu à peu du rang de serviteur à celui de membre de la famille ; leur sort, il est vrai, demeurait assez précaire, et tel ou tel concours de circonstances pouvait faire d’eux, au besoin, l’objet d’un holocauste public ou privé ; mais il était assez rare que les choses tournassent aussi mal pour eux, et, en général, le laps des années finissait par les assimiler complétement au reste de la population : de serfs ils devenaient citoyens. »


III

Lorsqu’au mois de décembre 1837 commença ma première croisade contre le rite abominable dont je viens de parler, je n’emmenai pour escorte qu’un petit nombre de sebundis (soldats irréguliers) choisis un à un parmi les plus intrépides chasseurs de la contrée. Pas un d’eux qui, dans quelque rencontre singulière, n’eût mérité quelque surnom honorifique, de ceux que les rajahs décernent et qui se transmettent de génération en génération. L’un de nos hommes, par exemple, s’appelait Lion-de-guerre (Joogar singh), un second Fort-à-la bataille (Runnah singh), et ainsi de suite. Quelques-uns de ces braves possédant une légère teinture du dialecte khond me furent très-utiles comme interprètes. Mais la principale assistance me vint d’un des chefs du haut Goomsur que M. Russell et moi nous nous étions attaché dans le cours de la récente guerre et auquel nous avions fait conférer, avec le titre de Babadur-Bukshi, une autorité prédominante sur les Khonds de Goomsur. Son nom