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qui vont quelquefois consulter les sorts ou brûler du papier peint et des bâtons de parfums au pied des idoles. Ces rares aumônes ne pourraient suffire à leur entretien, s’ils n’y joignaient la mendicité qu’ils exercent en grand et de la manière la plus importune. Pour le Chinois, travailleur par excellence, tout prêtre est un paresseux, un frelon qui vit dans la ruche aux dépens des abeilles ; aussi le tao-sse en est-il réduit, dans sa vieillesse, à louer pour quelques sapègues l’enfant d’une famille pauvre dont il fait son disciple ou plutôt son domestique, et qui plus tard devient son successeur.

Bonze chinois brûlant des parfums. — Dessin de Mettais d’après une peinture chinoise.

La religion, ou plutôt la doctrine de Confucius, est suivie par les lettres : l’empereur lui-même s’en est déclaré le patriarche. Elle a pour base un panthéisme philosophique diversement interprété suivant les époques. Quoique l’existence d’un Dieu tout-puissant, punissant le crime et récompensant la vertu, ait été admise par ce grand philosophe, le peu de soin qu’il a pris de baser ses principes de morale sur l’idée divine, a amené peu à peu ses disciples au matérialisme. Pour Confucius, le bien et la justice parmi les hommes sont en conformité avec l’ordre éternel de la nature ; ce est mal au point de vue de la morale, pèche contre l’harmonie du Grand Tout. Il ne s’est, dans aucun de ses ouvrages, livré aux spéculations philosophiques sur l’origine, la création ou la fin du monde ; il n’est jamais religieux, mais il enseigne admirablement la piété filiale, l’amour de l’humanité, charité, la renonciation de soi-même ; enfin c’est un grand moraliste qui a donné les préceptes du beau et du bien, mais qui n’a voulu préjuger en rien les destinées de l’homme et la nature de la Divinité. Confucius, né l’an 551 avant Jésus-Christ, et mort en 474, était donc contemporain des premiers philosophes grecs, de Cyrus et d’Eschyle. Voltaire a dit de lui :

De la seule raison salutaire interprète,
Sans éblouir le monde éclairant les esprits,
Il ne parla qu’en sage et jamais en prophète ;
Cependant on le crut, et même en son pays.

Jamais il n’a été donné à un homme d’exercer, pendant tant de siècles, un aussi grand prestige sur ses semblables. Depuis deux mille quatre cents ans, trois cents millions d’hommes rendent un culte à la fois civil et religieux à ce grand citoyen. Il n’est pas une ville qui n’ait un temple élevé en son honneur ; son image se trouve dans toutes les académies, dans les pagodes des lettrés, dans les yamouns destinés aux examens littéraires ; dans les plus humbles écoles des villages les plus reculés, maîtres et élèves se prosternent devant sa tablette au commencement et à la fin des classes.

La religion de Confucius n’a ni images ni prêtres : chacun la pratiquant comme il l’entend, les mandarins ont ajouté à cette pure doctrine des cérémonies officielles telles que le culte rendu aux ancêtres, aux astres et aux génies du ciel et de la terre ; mais eux-mêmes tournent en ridicule ces vieilles croyances conservées pour garder un prestige vis-à-vis du peuple, et sont les premiers à se moquer des jours fastes et néfastes, des horoscopes, de l’astrologie et de la divination par les sorts publiés tous les ans par l’Almanach impérial.

Le principal temple de Confucius à Pékin est situé au nord de la ville ; nous avons déjà parlé de ce monument ; à l’intérieur, l’œil ne trouve rien de remarquable que sa vaste étendue, la grandeur des salles, la décoration et la dorure des plafonds, et surtout la quantité de tablettes contenant des maximes du philosophe gravées en caractères dorés qui sont suspendues de toute part aux murailles. Sur un piédestal est un cadre plus grand que les autres qui porte l’’inscription suivante : Au très-saint maître Confucius. Malheureusement les pratiques superstitieuses se sont glissées dans le culte, et les offrandes déposées par les gens simples telles que les pièces d’étoffes de soie, les vases consacrés remplis de riz, de fruits secs et d’autres aliments servent à entretenir la paresse des desservants, qui balayent le temple, entretiennent les lumières, époussettent les tablettes, et qui se sont constitués d’eux-mêmes les prêtres de Confucius.

La troisième religion de la Chine est le bouddhisme, qui, on le sait, prit naissance dans l’Inde plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Son fondateur se disait appelé à réformer l’antique religion des Indous, le brahmanisme ; il considérait tous les hommes comme égaux devant Dieu,