S’il y a des choses dignes d’approbation dans la jurisprudence chinoise, en revanche l’application de la pénalité est effroyable. L’homme est considéré comme un être sensible seulement à la douleur physique et à la mort ; les législateurs n’ont pas cherché à frapper le coupable dans son honneur, dans son amour-propre, ni même dans son intérêt. L’échelle pénale se compose surtout de la bastonnade appliquée avec un épais bambou du gros ou du petit bout et depuis dix jusqu’à deux cents coups, suivant que le délit est plus grave ou que l’objet volé a plus d’importance. La bastonnade se donne de suite et devant le tribunal. Les peines les plus ordinaires sont ensuite la cangue, le carcan, la prison et le bannissement perpétuel en Tartarie pour les mandarins qui ont commis des fautes politiques. Nous avons dit que la haute cour d’appel décidait seule de la peine de mort, mais les souffrances infligées par l’ordre des tribunaux inférieurs sont si affreuses, les bourreaux sont si ingénieux à varier les tortures sans amener la mort, le régime des prisons est si odieux, enfin un homme condamné à la cangue, au carcan ou à la cage est exposé à des angoisses si terribles, que lorsque l’ordre de mort arrive de Pékin, tous ces malheureux marchent gaiement au supplice, comme si leur dernier jour était celui de leur délivrance.
Les exécutions à mort, horriblement variées dans les âges passés, se réduisent maintenant à trois : la strangulation, la décapitation et la mort lente ou le supplice des couteaux.
La strangulation s’opère au moyen d’un lacet de soie que deux bourreaux tirent de chaque côté, ou d’un collier de fer qui se serre par derrière avec une vis ; ce dernier moyen à une grande analogie avec le supplice du garote encore usité de nos jours en Espagne. La strangulation par le lacet de soie est réservée aux princes de la famille impériale ; le collier de fer sert à faire disparaître à l’ombre des prisons ceux dont on a intérêt à cacher la mort.
Sur la place publique il n’y a pas d’autre supplice que la décapitation, appliquée à tous les crimes vulgaires. Les apprêts en sont très-simples et les péripéties très-rapides, vu la trempe et la lourdeur des sabres et l’habileté des bourreaux. Jamais la guillotine n’atteignit à la dextérité foudroyante des satellites du terrible Yeh, ce vice-roi dont les Anglo-Français délivrèrent la province de Canton ; il ne leur fallait que quelques minutes pour faire tomber une centaine de têtes Il est vrai que leur maître se vantait de leur avoir dressé la main aux dépens de plus de cent mille victimes en moins de deux ans.
La mort lente ou le supplice des couteaux est infligée pour le crime de trahison ou de lèse-majesté, pour le parricide et l’inceste. Les apprêts de ce supplice doivent redoubler encore les angoisses du condamné : attaché solidement à un poteau, les mains et les pieds serrés par des cordes, il a le cou pris dans un carcan ; puis le magistrat chargé de veiller à l’exécution tire d’un panier couvert un couteau sur le manche duquel est désignée la partie du corps qui doit être frappée par le bourreau. Cette affreuse torture se continue ainsi jusqu’à ce que le hasard ait désigné le cœur ou tout autre organe vital. Disons vite que, le plus souvent, la famille du condamné achète à prix d argent l’indulgence du juge, qui s’arrange pour tirer de suite du panier le couteau qui doit donner le coup mortel.
Devant de telles pénalités, devant les hideux et fréquents spectacles qu’elles donnent, comment s’étonner que les Chinois soient familiarisés de bonne heure avec la mort, et que les femmes et les enfants mêmes possèdent au plus haut degré le courage passif qui la fait affronter avec calme ? Pour beaucoup de ces pauvres gens, ce n’est que la fin d’une misérable et douloureuse existence.
(La suite à la prochaine livraison.)