Gamel (le père du chameau[1]), beau piton parfaitement isolé, du haut duquel je pouvais voir toute la plaine jusqu’au revers qui descend sur l’Albara. Je pris pour guide un jeune indigène obligeant qui m’offrit de me piloter dans toute la contrée, sauf à Alghenden, son pays natal, où, me disait-il, il était brouillé avec l’autorité pour une misère, un homme tué en vendetta parfaitement légitime, — au moins selon sa version. Nous prîmes en sortant de Kassala la route caravanière, et je fis un léger détour à gauche pour visiter un petit lac près du village d’Ahmed Chérif, lac cité par M. Beurmann comme un site intéressant. Je passai par un sentier difficile ayant à ma gauche la masse colossale du Kassala-Louz et à ma droite un groupe de montagnettes très-pittoresques : l’une a la forme d’une tour féodale en ruines, l’autre ressemble à un lion couché pu plutôt à un sphinx et je lui en donnai le nom. En sortant de cette gorge je débouchai sur le village qui s’adosse à un épais bois de mimosas où je finis par trouver la mare : que le ciel en préserve ceux qui me liront ! C’était une eau jaune et croupissant sur un lit de vase noire et visqueuse : je n’eus pas le courage de boire à cette eau et je me hâtai de regagner, sous bois, la route pittoresque que j’avais quittée. Un peu plus loin, elle traverse une belle forêt de palmiers doums encadrant une sorte de clairière couverte d’une herbe haute et touffue qui repose agréablement le regard lassé de la dure réfraction du granit. On sent, à la vigueur de la végétation, qu’on touche au fleuve, et en effet on descend dans son lit de beau sable blanc à l’endroit où il lave le pied d’une montagne lisse et polie qui a l’air d’un monolithe couché sur le flanc. La route s’engage ensuite dans une île boisée, nommée le grand Gozzo, inculte, bien qu’elle convienne admirablement aux cultures européennes ou indigènes. Après l’île, on reprend le fastidieux ruban de sable si fatigant pour le pied des mules et même pour celui des chameaux, et on ne tarde pas à tomber sur l’un ou l’autre des quinze ou vingt camps de nomades qui, pendant la saison sèche, viennent occuper le lit du Gach. Ils y trouvent beaucoup d’avantages : d’abord, de l’eau partout : puis les haies d’épines dont ils entourent leurs camps les abritent contre les animaux féroces et les rôdeurs de nuit, qui ne peuvent guère dissimuler leur approche sur le fond blanc des sables.
J’ai parlé de l’eau : tous les voyageurs à qui les régions sahariennes sont familières savent qu’en général, plus un de ces lits de torrents desséchés est important, plus il y a de chances, en creusant de deux à huit pieds, de trouver de l’eau que les sables saturés ont conservée dans leurs profondeurs après les pluies. Ce n’est pas cependant une règle générale. Tel torrent très-vaste, mais éloigné des montagnes ou des plateaux qui versent leur contingent après les orages, n’a d’eau que dans les années de crue exceptionnelle, comme le Gach dans la partie inférieure de son cours. Tel ravin moins important, mais placé de manière à former cuvettes aux eaux dévalées des plateaux, les conservera pures et abondantes. L’expérience en ces matières est le grand trésor du nomade : le voyageur qui ne connaît pas le pays et n’a pas d’informateurs peut se trouver dans un cruel embarras. Un homme fort expert en ces matières, M. Galton, donne un excellent avis en cas d’hésitation de ce genre : il conseille de creuser au point où un grand torrent en reçoit un moindre, mais en dedans de ce dernier. En effet, les eaux qui descendent avec furie vers le grand torrent sont arrêtées court par la masse énorme qu’il roule, et le remous qui en résulte a pour résultat d’activer l’infiltration en cet endroit.
En suivant le Gach je traversais de temps en temps des massifs d’ocher (asclepias gigantea) plante bizarre, qui montrait dans toutes les îles et sur les rives le vert pâle de ses feuilles, sa petite fleur blanche et violette, et son fruit trompeur. L’ocher, bien connu des natura-
- ↑ Et nom Abou-Gaml (père de la vermine) comme ont écrit d’autres voyageurs.