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« Que dit celui-ci ? demandai-je. N’est-ce pas une injure qu’il m’a faite ? Je crois qu’il a prononcé le mot arfi.

— Il s’est excusé et vous a appelé arfi, qui signifie maître.

« Les Turcs, ajouta mon ami, sont plus graves dans leurs politesses : les Arabes d’égale condition s’embrassent ; mais parmi eux les pauvres s’inclinent très-bas devant les riches, baisent le pan de leur robe, s’humilient. C’est, avec la ruse, un des traits de leur caractère, ce qui n’empêche pas qu’ils n’aient aussi d’excellentes qualités, et, depuis que nous sommes à Alger, nous avons appris à leur rendre justice. Il y en a même beaucoup parmi eux qui ne nous trouvent pas assez polis. »


Proverbes tunisiens.

Un jeune voyageur que j’ai déjà cité et qu’une belle inspiration d’humanité a rendu justement célèbre depuis la bataille de Solferino, a recueilli un certain nombre de proverbes particuliers à Tunis. Il me pardonnera d’en citer quelques-uns d’après lui[1].

« Un seul cavalier ne fait pas de poussière, » signifie que le travail d’un seul homme ne peut pas être bien considérable.

« Une savate raccommodée vaut mieux qu’une barbe abandonnée, » signifie qu’une femme a parfois plus de valeur qu’un homme.

« Que te manque-t-il, ô homme nul ? une bague en diamants ! » signifie : Si vous êtes riche, les sots vous accorderont une grande considération.

« Il ne peut payer son barbier pour une simple barbe, et il cherche des témoins pour la cérémonie de ses fiançailles, » s’applique à un homme ruiné qui cherche à faire de grandes affaires.

« Il cherche son fils qu’il porte sur ses épaules, » se dit d’un distrait.

« Il est venu pour embrasser sa femme, et il lui a crevé les yeux,  » signifie : On fait souvent plus de mal que de bien avec de bonnes intentions.

Café près du lac (basse ville). — Dessin de A. de Bar d’après une aquarelle de M. Amable Crapelet.

« Il a ôté sa barbe pour ajouter à sa chambre, » se dit de quelqu’un qui ne tient pas sa parole, ou qui sacrifie l’honneur à l’apparence.

« La forêt n’est brûlée que par ses propres arbres. »

« S’il tient sa bouche fermée, les mouches n’y entreront pas. » Ce proverbe recommande la discrétion.

« Il est venu t’aider pour creuser la tombe de ton père, et il s’est enfui avec ta pioche, » signifie : Défiez-vous de ceux dont les offres de services sont intéressées.

« J’embrasserais plutôt les boutons de son habit que ses voisins, » signifie : Allez droit au but.

« Le pied va ou le cœur le mène. »

« Soyez lion, et mangez-moi, mais ne soyez pas loup pour me salir. »

« Si l’on appelle l’âne à la noce, c’est pour porter du bois. »

« Travaille pour ta réputation jusqu’à ce qu’elle ait un nom, puis elle travaillera pour toi.

« Chaque espèce est bonne pour son espèce. »

« La parole en son temps est permise. »

« Sa fortune a passé en paille et en clous, » désigne un prodigue.

« Il est allé à la mer et l’a trouvée sèche, » signifie que celui qui marche sans courage ferait bien de retourner en arrière, car il échouera dans ses entreprises.

« Il mange les fruits du jardin paternel et il insulte ses ancêtres, » signifie : Ne soyez pas ingrat.

« Celle à qui la fortune manque dit que son mari est ensorcelé. »

  1. M. Dunant. Il est évident que cet excellent observateur a séjourné assez longtemps à Tunis. Il ne doit donc pas s’étonner si ceux qui n’ont fait qu’y passer rapidement, usent beaucoup, pour raviver leurs souvenirs, de son livre inédit : Notice sur la Régence de Tunis.