un moment pour contempler les belles masses nuancées de toutes les couleurs que nous avions laissées derrière nous ; nous apercevions, comme si elles eussent été a côté de nous, les crêtes du mont Zaghouan dorées par les derniers rayons du soleil ; elles se détachaient sur un ciel d’azur. Leur aridité, leurs formes rudes, disloquées, d’une couleur impossible, laissent une impression ineffaçable. À la hauteur où nous étions, nous pouvions apercevoir les montagnes du Djougar, notre point d’arrêt.
À sept heures du soir, nous descendîmes dans le beau vallon où est située la ville de Zaghouan[1]. Là nous pouvions enfin respirer à l’aise ; partout de l’eau, de la fertilité. Après une heure de marche, nous entrâmes dans la ville par un beau crépuscule. Une ancienne porte romaine sert d’entrée [2]. Tous les habitants sont ameutés ; mais le cheik est prévenu de notre arrivée et il nous offre l’hospitalité la plus cordiale, aux frais du gouvernement, bien entendu.
Une grande chambre nous est réservée dans une dépendance de son soi-disant palais et nos chevaux sont conduits à l’écurie. Nous n’avons pas fait moins de dix-neuf heures de marche dans ce désert, et un bon dîner arrive très à propos pour nous délasser. On nous sert le kouskous, divers ragoûts fort bien accommodés, du mouton avec des châtaignes ou avec des haricots, selon les goûts, de beaux poissons, du café. On fume ensuite quelques chiboucks.
À onze heures je fais éteindre les feux, et quoique les divans fussent, hélas ! pleins de vermine, nous avons tous dormi comme des bienheureux.
Le lendemain dès quatre heures nous étions sur pied. À cinq heures nous arrivions près d’une des belles sources qui envoyaient leurs eaux à Carthage.
Un temple s’élève au-dessus de la source ; quelques profils de moulures parfaitement conservés montrent avec quel soin il avait été construit ; dans mon dessin (p. 31), je me suis bien attaché à rendre scrupuleusement tous les détails. En avant du temple est une belle vasque toujours remplie d’une eau limpide.
À quelle divinité était consacré ce temple ? Qui l’a élevé ? Je n’ai garde d’entreprendre de discuter ces questions difficiles, et je suis trop heureux de pouvoir emprunter quelques lignes sur ce sujet au bel ouvrage du savant M. V. Guérin, qui a visité le temple du Zaghouan au mois d’août 1860.
« Les débris pittoresques du temple sont connus dans le pays sous le nom d’Henchir-ain-el-Kasbah (ruines de la source de la forteresse)[3], les indigènes s’étant imaginé que cet édifice est un ancien château fort. Il est situé à deux kilomètres et demi au sud-ouest de la ville. Bâti sur une plate-forme, il est comme adossé au mont Zaghouan. Il se compose d’abord d’un sanctuaire, dont la cella rectangulaire est longue de sept mètres vingt centimètres et large de quatre mètres treize centimètres. Au-dessus de la porte de cette cella, règne une architrave surmontée jadis d’un fronton triangulaire, aujourd’hui détruit. Il y avait là très-probablement une inscription qui a disparu avec la frise qui la portait. Au fond du sanctuaire, on distingue les restes d’un autel et d’une large niche où a dû être placée la statue de la divinité principale à laquelle le temple était consacré.
« À droite et à gauche de ce même sanctuaire s’avance et s’arrondit en un vaste fer à cheval une double galerie latérale large de quatre mètres vingt-huit centimètres. Chacune de ces deux galeries reposait, d’un côté, sur un mur construit en belles pierres de taille et soutenu extérieurement par des contre-forts, lequel mur est encore intact, et, de l’autre, sur treize colonnes qui ont été enlevées et transportées, à ce qu’il paraît, dans
- ↑ La ville de Zaghouan est située sur une colline au pied septentrional de la montagne qui porte le même nom. Elle est bâtie sur les ruines d’une ville antique.
- ↑ « C’est une porte triomphale construite avec de belles pierres de taille. L’ouverture de l’arcade est de quatre mètres neuf centimètres ; les piliers qui la supportent ont trois mètres douze centimètres de large. Elle était jadis ornée de deux statues, placées l’une à droite et l’autre à gauche dans deux niches latérales. Sur le bloc qui forme la clef de voûte, on remarque d’abord une figure triangulaire ressemblant à un A, puis au-dessous une couronne de feuilles de chêne environnant le mot : avxili. Ce mot auxili surmonte lui-même la représentation d’une tête de bélier. Toute la partie supérieure du monument est détruite. » (V. Guérin, Voyage en Tunisie.)
- ↑ Le mot henchir signifie : ferme, et plus souvent encore : ruine.