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Un bruit lointain vint à mes oreilles.

« Entendez-vous ? dis-je à l’un de mes amis qui s’était rapproché de moi.

— Rien, me répondit-il. Je ne vois rien, je n’entends rien.

— Mais je vois maintenant, moi. Regardez cet Arabe qui fuit ; il tourne autour d’Assan, notre guide. Vous ne le voyez donc pas, au milieu de la poussière ? il est mis en joue, et lui-même menace Assan de son fusil.

— En effet, et maintenant le Bédouin a disparu avec sa monture. »

Nous étions sur un plateau ; à droite et à gauche tout était hérissé de ravins et de broussailles.

Le guide revint près de moi après avoir remis son fusil en bandoulière.

« C’est un Bédouin, nous dit-il, poursuivi par deux cents cavaliers, parce qu’il a été surpris, voleur ou ravisseur, sous une des tentes du douar.

— Eh bien ?

— Il venait demander à se réfugier au milieu de votre escorte.

— Il s’y prenait d’une étrange manière, répondis-je ; n’avait-il pas commencé par te mettre en joue, par te menacer ? c’est ton maître qu’il insultait. Pourquoi n’as-tu pas tiré sur lui ?

— Ah ! maître, ils sont lâches dans cette tribu ; il voulait m’effrayer ; je les connais : si je m’étais défendu, on aurait entendu le coup de feu, et ma vie seule n’eût pas été exposée ; vous-mêmes peut-être n’auriez-vous jamais revu votre patrie ! »

Débris d’aqueduc sur la route du Zaghouan. — Dessin de A. de Bar d’après une aquarelle de M. Amable Crapelet.

Tout n’était pas fini. Plus de deux cents Bédouins arrivaient sur nous de droite et de gauche, nous questionnant du regard, d’un air hostile ; tous, le fusil au poing, les uns avec des lances, les autres avec leur yatagan, et portant en croupe des femmes, des enfants la serpille à la main. On commençait même à nous lancer à tort et à travers de grosses pierres. J’arrêtai mon cheval, et je saisis ma carabine et un de mes revolvers passés dans mon bras : je me préparais à riposter. Mon drogman attendait mon signal. Tout cela avait été instantané comme l’éclair.

Mon escorte était donc tenue en arrêt, quand tout à coup nous voyons déboucher derrière nous le fugitif (voleur ou ravisseur, comme avait dit notre guide) ; il était suivi de quatre Bédouins qui avaient réussi à le dépister. Arrivés à quelques pas de lui, ils lui envoient quatre balles dans le dos ; son cheval se cabre, le malheureux tombe inanimé, la troupe entière de nos assaillants disparaît. Mais presque aussitôt des individus accourent des douars voisins pour assouvir leur vengeance sur le mort. Mon guide Assan nous donne alors l’explication de tout ce drame. (On voit Assan au second plan de la scène que j’ai reproduite avec le crayon ; il fait signe aux Bédouins de droite de s’arrêter : ils s’arrêtent court, en effet, sur un simple verset du Coran que mon guide leur cite.)

Ces Bédouins étaient exaspérés ; ils couraient partout à la recherche du voleur ; il y avait déjà trois heures qu’ils étaient à sa poursuite. Apercevant notre caravane, ils s’étaient imaginé que nous avions voulu prendre leur ennemi sous notre sauvegarde ; furieux, ils allaient faire feu, lorsque le Bédouin harcelé avait été découvert.

Le cheik me fit quelques excuses. Le malentendu avait été vraiment bien près de tourner au tragique. Attaqués, il nous eût été impossible de ne pas faire bonne contenance ; mais la lutte eût été assurément trop inégale ; nous aurions soutenu un instant le feu, puis aurions été exterminés. Heureusement la méprise avait été découverte à temps. Le cheik baisa ma main et le pan de ma jaquette en signe de soumission ; ses cavaliers se rangèrent deux par deux, et pendant que les femmes et les