Page:Le Tour du monde - 11.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une pauvre hutte et à moitié sous terre, une vieille femme maori devenu folle, bannie d’après la coutume superstitieuse des siens, pour mourir solitaire en ces lieux où ont succombé tant de milliers d’êtres de sa race.


IV

Les forêts de Kauris.


Le pilote du Manukau, le capitaine Wing m’avait offert, pour parcourir le bassin du port, son excellent canot, construit à l’instar de baleinières ; il voulait lui-même nous servir de guide, et plusieurs amis avaient consenti à m’accompagner. Nous nous embarquâmes à la jetée d’Onchunga, le 18 janvier. Cinq indigènes tenaient les rames, le capitaine Wing était au gouvernail, nous longeâmes la côte nord, nous descendîmes dans une petite baie, sur la presqu’île de Puponga, et nous nous étendîmes pour dîner à l’ombre d’un magnifique polutukaua (metrosideros tomentosa), dont le tronc mesurait vingt-quatre pieds de circonférence. Dans l’arrière plan de la baie s’élevaient des massifs de rochers aigus, d’un aspect fort remarquable. Ce sont d’énormes blocs de pierres volcaniques très-variées, tantôt en trachyte, tantôt en basalte, anguleux et de toutes couleurs, rouges, verts, bruns et noirs ; ils forment le commencement de ces masses puissantes de détritus volcaniques qui, dans une épaisseur de plus de mille pieds composent toute la chaîne de Titirangi, et depuis la côte nord du port de Manukau jusqu’au port de Kaipara forment l’escarpement de la côte occidentale.

Le soir nous établîmes notre tente dans la baie Huia, sur le sable sec du rivage. La nuit fut sans sommeil, car le soir, attirés par la lumière, des nuées de moustiques pénétrèrent jusqu’à nous, et nous firent cruellement souffrir. Nous saluâmes le jour avec joie, l’air frais du matin, l’eau pure d’une source, et une tasse de bon café nous rendirent des forces, et nous continuâmes notre chemin pour visiter les établissements situés dans le fond de la baie.

Je fus émerveillé du caractère romantique qu’avait en ce moment le paysage ; une nature sauvage et abrupte, avec d’épaisses forêts, des pics aigus, des pans de rocs escarpés, des ravins ténébreux traversés par des ruisseaux et des rivières où coule l’eau la plus limpide. De hardis colons ont choisi cette contrée pittoresque pour y établir des scieries, exploitant les forêts qui produisent en abondance le gigantesque pin Kauri (dammara australis), dont le bois est excellent ; les ruisseaux et les rivières portent aux usines leur force hydraulique, et servent en même temps au flottage du bois.

C’est avec raison que l’on nomme le sapin Kauri le roi des forêts de la Nouvelle-Zélande. Ce qu’était pour l’Asie Mineure le renommé cèdre du Liban qui fournissait autrefois la membrure des vaisseaux phéniciens et la charpente du temple de Salomon, ce qu’est aujourd’hui pour la Californie le gigantesque sequoïa mammouth, le pin Kauri l’est pour la Nouvelle-Zélande.

Depuis l’origine de la colonisation, les forêts de Kauris sont une source de richesse pour les émigrants européens. Elles fournissent les espars et les mâts les meilleurs, un excellent bois de construction ; et la résine du Kauri est un article de commerce très-recherché. Parmi les produits indigènes de la Nouvelle-Zélande, il n’en est point dont l’exportation soit plus considérable.

Deux conditions principales paraissent être indispensables à la vie de l’arbre : l’air humide de la mer et un terrain argileux et sec. Elles se trouvent parfaitement réunies sur la petite péninsule septentrionale.

Le Kauri ne croît pas isolé ; et pousse par groupes et à des endroits protégés du vent. Ces groupes donnent à la forêt sa physionomie caractéristique. Quand d’une colline ou d’une montagne on aperçoit une forêt, on reconnaît à leur teinte d’un vert foncé, les groupes de Kauris. Leurs couronnes dominent au loin les autres arbres et forment des ombres épaisses sur les pentes des montagnes et dans les vallées. Çà et là se détachent sur ce fond le vert tendre des fougères arborescentes, qui poussent avec vigueur aux endroits ou jaillissent les sources.

Ces groupes de Kauris ont une étendue très-variable ; souvent ils occupent plusieurs milles carrés, souvent ils ne se composent que de trente à quarante arbres qui, se trouvant ainsi en société, et se protégeant les uns les autres, réussissent admirablement. Mais si l’on abat la forêt, et si on ne laisse debout que quelques arbres, ils ne tardent pas à mourir. Vainement les colons ont cherché dans les larges espaces qu’ils conquièrent sur la forêt pour l’agriculture et l’élève des bestiaux, à conserver quelques beaux arbres pour la décoration du paysage et l’ornement de leurs fermes, le fils de la forêt humide et ombreuse languit aussitôt qu’il est exposé au vent et au soleil, et les tentatives que l’art a faites jusqu’à présent pour le planter et le cultiver, n’ont pas réussi davantage.

Cette particularité du pin Kauri de ne croître qu’en groupes et en société fait aussi que les arbres d’un même groupe ou d’une partie de forêt sont habituellement du même âge. Il y a donc des bouquets de sapins de deux cents, quatre cents et cinq cents années, et l’impression grandiose que produit une forêt Kauri tient essentiellement à ce qu’elle est formée comme d’un seul jet, qu’une colonne végétale s’élève à côté d’une autre de même épaisseur et de même hauteur, ainsi que les portiques d’un palais. Dans ces massifs, le Kauri ne souffre à côté de lui aucun autre grand arbre ; peu d’arbustes même croissent sous son ombrage.

Les jeunes sapins ont un aspect tout différent de celui des anciens ; ils ressemblent davantage à nos sapins rouges ; dans la vieillesse, ils rappellent le sapin blanc. Les sujets de soixante à cent ans portent une couronne en cône aigu ; le tronc s’élance perpendiculairement de la racine au sommet. En avançant en âge, les branches latérales se fortifient et produisent, par des bifurcations multipliées, une couronne en forme de tente. Mais le tronc, parfaitement cylindrique, dresse sous le dôme de verdure sa majestueuse colonne, dont les belles proportions ne sont pas altérées, comme dans les autres