Page:Le Tour du monde - 11.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vent, en imitant son cri pendant la nuit, l’attirer vers eux, puis, lui montrant tout à coup de la lumière, ils l’éblouissent à tel point qu’ils peuvent ou le prendre avec la main, ou le frapper à l’aide d’un bâton. Les chiens sont employés à la chasse du kiwi, et l’on comprend ainsi comment cet oiseau ne se trouve plus depuis longtemps dans les contrées habitées.

Le kiwi n’est cependant que le dernier et faible représentant des apteryx qui peuplaient autrefois la Nouvelle-Zélande. Les indigènes désignent par l’appellation de moa une espèce d’oiseau que nous ne connaissons que par des débris de squelettes, une espèce de véritables oiseaux géants. Les missionnaires avaient recueilli depuis longtemps de la bouche des indigènes des récits et des traditions sur ces gigantesques moas contre lesquels les ancêtres des Maoris modernes ont dû combattre à leur arrivée dans l’île. Les naturels montrent encore, sur les rives du Rotorua, l’endroit où leurs pères ont tué le dernier moa, et pour confirmer la vérité de leurs récits, ils présentent, comme les restes de ces oiseaux monstrueux, de grands squelettes qu’ils ont trouvés dispersés dans les alluvions du fleuve, sur les côtes de la mer, dans les marais.

« Ces ossements appartiennent à quatre espèces rapprochées, mais différentes de taille. La plus grande a reçu des naturalistes le nom de dinormis, la seconde celui de palapterix, la troisième celui d’aptornis et la plus petite l’appellation de nothornis. Quatre mètres étaient la hauteur moyenne des plus grands moas ou dinormis. Comme tous les oiseaux du genre autruche ils étaient incapables de voler, et, à l’opposé de toute la gent emplumée, avaient les fémurs et les tibias remplis de moelle au lieu d’air. Un de leurs œufs, trouvé dernièrement dans un tombeau de chef, mesurait neuf pouces de diamètre, vingt-sept de circonférence et douze en longueur[1]. »

Parmi les squelettes que j’ai rapportés à Vienne et qu’a recomposés le docteur Jäger se trouve celui d’un palapteryx ingens d’Owen. Il appartient à un jeune individu ; la hauteur entière du squelette jusqu’au sommet de la tête est de six pieds et demi de Vienne ; c’est la hauteur moyenne de l’autruche ; mais un individu adulte aurait certainement été d’un quart plus grand.

Il n’est pas étonnant que cette espèce soit détruite. Les faits historiques prouvent surabondamment que l’homme a fait entièrement disparaître de la surface de la terre des familles d’animaux, et que ce sont précisément les plus grands qui succombent les premiers. Si l’on excepte les animaux domestiques, qui, par leur dépendance absolue envers l’homme, sauvent leur existence, on peut même dire que tous les grands animaux sont anéantis ou détruits.

Reportons-nous par la pensée au temps ou la Nouvelle-Zélande n’avait encore été foulée par aucun pied humain. Les oiseaux géants étaient alors les seuls grands habitants de cette île ; car on ne connaît d’autre mammifère indigène qu’une petite souris. Les innombrables moas de la Nouvelle-Zélande offrirent aux premiers immigrants la nourriture nécessaire pour se développer et former une nation qui comptait des centaines de milliers d’hommes, ressource indispensable dans une contrée qui ne fournissait d’autre aliment végétal que des racines de fougères.

Les traditions des indigènes viennent aussi confirmer cette hypothèse. Ngahue, d’après la légende, le découvreur de la Nouvelle-Zélande, décrit le pays comme habité par des oiseaux monstrueux. On conserve des poésies dans lesquelles le père apprend à son fils comment il doit combattre le moa, et le mettre à mort. On y décrit les repas qui avaient lieu après une chasse fructueuse. On a trouvé des collines tout entières pleines des squelettes de ces animaux, qui provenaient des débris de leurs festins. On mangeait la chair et les œufs, les plumes servaient à orner les armes, les crânes tenaient lieu de boîtes dans lesquelles on conservait les poudres colorantes ; avec les os, on fabriquait des hameçons, et les œufs gigantesques étaient placés dans les tombeaux comme viatique pour le long voyage que les morts commençaient dans les enfers.

Ces grands oiseaux ont été ainsi dans les temps primitifs le principal gibier des indigènes, et tout porte à croire qu’ils furent complétement anéantis dans l’espace de quelques siècles. Ils ont succombé devant la même loi fatale qui fait disparaître sous nos yeux d’autres animaux de la Nouvelle-Zélande, le kiwi, le kakapo, et la souris kioré. Les cavernes dans lesquelles on trouve leurs squelettes étaient peut-être les lieux de refuge des premiers individus qui abordèrent dans ces îles.



X


Excursion dans la grande île du Sud. — Le détroit de Cook. — Nelson et son territoire. — Les Alpes et les glaciers du sud. — Otago. — Ses richesses aurifères, etc.

Avant de clore ces rapides aperçus sur une terre dont la description exigerait de longs développements, je dois à mes lecteurs de les conduire sur quelques points, de la grande île méridionale[2] ; je les prierai de vouloir bien m’y suivre un instant sur les pas de mon ami Julius Haast, le meilleur guide que l’on puisse prendre pour cette contrée, qu’il a parcourue pendant plusieurs années en géologue, en naturaliste et en géomètre.

Embarqués au havre de Manoukaou, nous ne pouvons doubler l’extrémité sud-ouest d’Ika-na-Mawi sans saluer le Mont-Egmont, qui porte sa couronne de neige éternelle à 2 480 mètres au-dessus du niveau de l’Océan, où plongent ses racines, et sans jeter un coup d’œil sur la cité de New-Plymouth, qui s’élève au pied du vieux volcan éteint, et dont la ceinture de forts et de blockhaus témoigne à l’observateur que dans ce district les luttes armées de l’homme contre l’homme ont remplacé les convulsions intestines de la nature.

  1. Tompson, Story of New Zealand, t. I.
  2. Tawai-Pounamou des indigènes, Middle Island des anglais qui ont affecté la qualification d’île du Sud à la petite île Stewart.