consul, M. de Sainte-Foi. J’étais porteur de lettres de recommandation pour M. Léon Roches, consul général de France. M. Roches était absent ; tout le consulat était sens dessus dessous. La grande cour arabe, si pittoresque, était envahie par les tapissiers, les menuisiers ; on devait prochainement célébrer la victoire de Solferino. J’eus le plaisir de faire connaissance avec quelques membres de la colonie française.
De là j’allai présenter mes devoirs à la respectable famille Vaugavert et Gandolphe ; j’étais heureux, j’avais déjà trouvé deux sociétés aimables ; j’étais certain de ne pas être seul. J’aime beaucoup les voyages et je n’enthousiasme aisément dans les pays étrangers ; mais il m’est doux d’y sentir, ne fût-ce que par un point, la présence de la patrie vivante.
Le lendemain, après avoir parcouru différents quartiers de la ville, je retournai au consulat.
On n’avait plus que deux jours pour faire les préparatifs de la cérémonie ; j’offris mes services, et je composai un projet de décoration. J’ébauchai deux grands écussons aux armes de France, deux aux armes de Piémont, et une quantité de petits sur lesquels j’inscrivis le nom des victoires remportées avant la prise de Solferino. J’avais pour aide M. de S. F. ; ce travail fut exécuté en badinant. Le jour suivant, toutes les peintures furent terminées : on dressa l’autel à six heures du soir.
De retour à l’hôtel, je terminais mon dîner solitaire quand un employé vint m’apporter un pli ; c’était le consul qui, arrivé de sa maison de campagne de la Marsa, m’invitait. Quand j’entrai dans son salon, décoré avec goût, je me trouvai en présence de plus de quarante personnes : les unes faisaient de la musique, d’autres causaient, d’autres étaient groupées devant des œuvres de peintres distingués, entre autres les aquarelles de Cordouan qui ne pâlissaient pas à côté des portraits à l’huile de M. Monnier ; ses pastels se détachaient de même parfaitement au milieu des ravissantes toilettes orientales des belles invitées.
Personne n’ignore tous les services que M. Roches a rendus à la France. Lors de nos guerres dans les montagnes d’Algérie avec l’Émir, il était interprète du général Bugeaud. Sur la toile de la grande et mémorable bataille de la Smala, au musée de Versailles, il est facile à reconnaître ; Horace Vernet l’y a représenté descendant de cheval et apportant un ordre à son général[1].
Le lendemain à dix heures du matin, Français, Italiens, Algériens et protégés, étaient réunis pour assister à la cérémonie. C’était une bonne fortune pour moi. En quelle autre occasion aurais-je rencontré tant de cœurs sympathiques à la gloire et au souvenir de la patrie[2] ?…
Mais c’est assez parler de moi ; je dois autre chose aux lecteurs.
Si un ami vous invite à visiter avec lui une personne qui vous est encore inconnue, vous lui demandez naturellement quelle est cette personne, et votre ami vous raconte, chemin faisant, son histoire. C’est aussi ce que les lecteurs ont sans doute à désirer du voyageur qui veut les faire entrer dans une ville étrangère. J’essayerai donc de résumer ici de mon mieux et le plus rapidement possible ce que j’avais appris de l’histoire de Tunis avant mon départ et pendant la traversée[3].
Les historiens croient que Tunis fut fondée à peu près au même temps que Carthage, c’est-à-dire vers l’année 900 avant l’ère chrétienne. Les écrivains anciens l’ont désignée sous les noms de Thunetum, Tuneta, Tunes et Tunisum ; les Arabes l’appellent Tounah, Tounet, Tounès, mot qui, en phénicien, paraît signifier « habitation. » Selon la fable, la belle Harmonie, abandonnée sur le rivage africain par Cadmus, son ravisseur, mourut de désespoir, et ce fut autour du tombeau élevé par ses enfants à sa mémoire, que se sont groupés les premiers habitants de Tounès. Cette aventure, qui ne le cède pas en poésie à celle de la reine de Carthage, se passait quelque temps avant le déluge de Deucalion.
L’histoire devient plus positive vers le commencement de la première guerre punique, deux siècles et demi avant notre ère : dès ce temps Tunis avait une flotte considérable, qui s’unissait souvent à celle de Carthage dans des expéditions contre les Phocéens. Prise par Régulus, après la victoire navale qu’il remporta sur Hamilcar et Hamon, elle resta le quartier général de l’armée romaine jusqu’au jour ou Régulus fut à son tour vaincu par le général lacédémonien Xantippe. Scipion la reprit ensuite, et depuis ce moment ses annales se confondent longtemps avec celles de Carthage, dont elle partage le sort. Elle fut, comme elle, détruite par le second Scipion, et, comme elle, se releva de ses ruines sous les empereurs.
Après le partage de l’empire romain entre les trois fils de Constantin, en 337, les vicissitudes de Carthage et de Tunis sont si diverses et si rapides, qu’on a peine à les suivre. Au cinquième siècle, Genseric, roi des Vandales, maître de ces deux villes, y créa une marine formidable, qui ravagea et pilla successivement l’Italie, la Grèce, l’Istrie et la Dalmatie. Au sixième siècle (en 535), Bélisaire les reprit avec les autres cités voisines, au nom de l’empire grec. Mais, en ces temps-là, aucune possession du territoire africain ne pouvait être de longue durée. Les Perses, sous Khosroès, vinrent dévaster Tunis et Carthage ; après eux, les musulmans entreprirent aussi la conquête de l’Afrique, et finirent par se fonder, sur les ruines de Cyrène, une capitale qu’ils nommèrent Quayrouan (Kairouan). Tunis, comme
- ↑ Depuis le voyage de M. A. Crapelet, M. Léon Roches a été envoyé comme ministre plénipotentiaire au Japon, et remplacé dans la Tunisie par M. de Beauval.
- ↑ L’auteur a publié dans l’Illustration un dessin représentant cette cérémonie. L’Illustration, premier grand journal illustré qui ait été publié en France, a été fondé, au commencement de 1842, par M. Édouard Charton avec le concours de MM. Paulin et Jacques Dubochet, éditeurs.
- ↑ Voy. dans le volume de l’Univers pittoresque intitulé : Algérie, États tripolitains, Tunis, ce qu’a écrit M. J. J. Marcel sur cette histoire.