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choisir, et tous, deux à deux, couples assortis, ils s’en vont chercher et recevoir la bénédiction religieuse.


Marchand d’oiseaux, à Riga.


Une petite fille sur le chemin. Route de Mitau. — Dessin de d’Henriet.

D’autres hommes presque aussi misérables que les Lettons, arrivent à la ville après la fonte des glaces. Ce sont des serfs, venus des provinces qui bordent le cours de la Düna et de ses affluents, ou qui en sont à quelque distance. Ils amènent dans leurs énormes barques les blés, le lin, le chanvre, qui sont l’objet d’un commerce considérable. La struzze, que je n’ai vue décrite nulle part, entièrement faite à la hache, est une construction grossière, une œuvre de sauvages un peu avancés. Des troncs d’arbres mal dégrossis tapissent le fond plat de ce genre de bateau. D’autres, plus émincés, forment les flancs ; un autre, enfin, sorte de longue rame que manœuvrent sept ou huit hommes, sert de gouvernail. Quelque chose est cependant donné au luxe et à ce besoin d’art qui tourmente l’homme dès son enfance. Un charpentier a, sur le bois, de la proue, sculpté à la hache une tête de cheval, auquel un peintre a fait des yeux de vermillon ou d’ocre rouge. Le peintre a quelquefois même ajouté à cet essai, sur les parois de la struzze, des chaînes, des ancres figurées à grands traits noirs. Ces ornements, avec les soleils et les dessins qui sont en haut du mât, rappellent, sans faire sourire, les barbares petits bonshommes que font les écoliers sur les murs. Les struzzes, ainsi bâties, franchissent, la crue des eaux aidant, les cataractes dont on n’a pas encore su débarrasser le cours du fleuve, et viennent, les unes après les autres, se réunir en amont du port. Là elles sont débitées et servent de matériaux pour les maisons, les cabanes et les clôtures. Quant à l’équipage de la struzze chaque homme, pauvre, mal vêtu, mais en général jeune et vigoureux, a reçu une vingtaine de francs de son maître pour venir souvent de fort loin, du gouvernement de Smolensk, de Viasma, de Poretchie, non loin de Moscou. Il se nourrit à ses frais ; encore se regarde-t-il comme un élu celui qui a pu quitter la terre et faire le voyage. Sur le long de la route, il dépose dans des maisons riveraines qui lui sont connues, du pain qui suffira au retour. La ville lui est un sujet d’émerveillement. J’en ai vu qui s’extasiaient devant une fontaine ou une pompe qui donnait de l’eau. Le matin, on les voit faire leurs dévotions et se peigner, — ils n’en ont que trop besoin, — à l’aide d’un peigne à grosses dents qu’ils portent à leur ceinture en même temps qu’une clef, les plus riches une cuiller de bois et quelques autres objets précieux. Ils restent plusieurs mois à Riga, moyennant redevance, vendent des balais, se font terrassiers, charpentiers, manœuvres, et gagnent ainsi un franc par jour pendant l’été. L’hiver, ils ne seraient pas employés. Ils campent comme ils peuvent, s’ils sont loin du bateau ; ils allument un feu, se rangent en cercle autour. Si la pluie tombe, durant l’automne, elle éteint le feu et les inonde ; ils restent couchés. À quatre heures du matin, ils rallument le feu, ou ils entrent chez un brandevinier. Ils ramassent ainsi quatre ou cinq roubles. Ils emporteront chez eux un peu de lard et de bœuf salé. Ces gens sont si sobres, accoutumés qu’ils sont au pain noir, trempé dans l’huile de chènevis, qu’ils ne dépensent presque rien. Ils vivent de gruau, bouillie d’orge ou d’avoine, qui est un mets national, et de concombres frais ou conservés, nageant au milieu d’un petit baquet de bois empli d’eau salée dans lequel ils puisent. Je dis qu’ils vivent, mais précairement ; dans les moments d’épidémie, en temps de choléra, ces malheureux mouraient comme des mouches. Quand on relevait le nombre des morts, ils n’étaient pas comptés, n’étant rien. Ajoutons, pour être juste, qu’il en était de même des soldats de la garnison, qui n’ont pas non plus de numéro dans le tchin, l’échelle des rangs : ces derniers cependant sont libres à partir du moment où ils cessent d’être soldats.


Marchand de pommes, à Riga.

Les objets de première nécessité se trouvent en