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VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE,

À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD


PAR M. PAUL MARCOY.


1846-1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




PÉROU.




DIXIÈME ÉTAPE.

DE TIERRA BLANCA À NAUTA (Suite).


Les arbres flottants. — Ignorance du voyageur à l’égard des cigales américaines. — Eustache en tournée. — Les Machusisac. — Effet que peuvent produire des fleurs blanches sur des eaux noires. — Les nids de Caciques. — Un coup de vent sur la rivière Ucayali. — Instinct des oiseaux. — Détails de mœurs intimes. — De l’esclavage chez les indigènes de la plaine du Sacrement. — Une habitation de Chontaquiros.

Avec cette finesse de tact, apanage exclusif du sexe qu’elle représentait à l’état sauvage, la digne ménagère comprit bien vite que la conversation de son mari n’était pas assez substantielle pour nos estomacs, et se mit en mesure de nous préparer à souper. En un clin d’œil le feu fut allumé, une marmite d’eau placée en équilibre sur trois pierres, et un jambon de pécari décroché de la solive où il se balançait au vent du soir. À l’aide des ongles tranchants dont ses dix doigts étaient armés, la femme Maquea détacha de ce jambon des bribes de viande et les jeta dans l’eau bouillante. Une demi-heure suffit à la cuisson du ragoût local, qu’elle nous servit sans assaisonnement aucun, mais bouillant, écumant et grondant encore.


Les copahus.

À l’issue de ce repas pris en commun, j’offris aux deux époux un verre de tafia qu’ils avalèrent sans se faire prier, puis, les laissant causer avec mes gens, je me rapprochai du foyer où les enfants de la maison, deux petits gnomes couleur de pain d’épice, me rejoignirent. À la clarté d’une torche résineuse, qu’on avait allumée en mon honneur, je venais d’apercevoir un de ces sacs en jonc où les indigènes gardent leurs provisions d’arachides. J’y plongeai ma main, et en ayant retiré une poignée de pistaches, je les ensevelis sous les cendres chaudes avec l’intention d’en faire mon dessert, quand elles seraient cuites à point, ce qui eut lieu au bout de cinq minutes.

Comme j’étais en train de les croquer, les fils Maquea, qui avaient suivi avec intérêt les détails de ma pantomime, eurent l’idée de fouiller après moi les cendres du foyer où le plus jeune trouva une pistache dont il s’empara lestement au nez de son aîné. Celui-ci, en vertu de la loi du plus fort qui règne au désert comme dans les villes, voulut la lui ravir, mais le petit tint bon, et encouragé dans sa résistance par un signe de tête que je lui fis, riposta à une bourrade de son grand frère par un soufflet bien appliqué. Alors les deux frères rivaux se prirent aux cheveux et se roulèrent sur le sol avec des grognements diatoniques qui, montant du grave à l’aigu, descendant de l’aigu au grave, rappelaient ceux de l’animal cher à saint Antoine. Cette scène de pugilat, que les époux Maquea ne semblaient nullement pressés d’interrompre, allait avoir un résultat fâcheux, si, pareil au Deus ex machina de l’antiquité, je ne fusse intervenu à propos pour changer la face des choses. Il me suffit de saisir délicatement par la peau du cou le plus ro-