Page:Le Tour du monde - 12.djvu/233

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petto, une réminiscence classique involontaire, et j’étais presque disposé à lui adresser l’avis sévère qu’un illustre hypocrite donne à Dorine ; mais mon puritanisme eût été tout aussi absurde. Cette pieuse beauté tira de son giron une petite croix de métal au bout d’un cordon de soie bleue, et m’interrogea modestement sur Denghel Mariam. Je pris un air capable en répondant :

« Oui, Denghel Mariam (la Vierge Marie), mère de Jésus ! »

Rien n’égale la dévotion passionnée des Abyssins pour la Vierge : c’est un des nombreux rapports que ce peuple singulier, enthousiaste et paladin, a avec un autre grand peuple, romanesque comme lui : je veux parler des Polonais. Les missionnaires allemands et anglais, avec leur froide et lourde logique, ont imprudemment heurté ce sentiment national, l’une des formes les plus épurées du culte de la femme, si naturel aux chevaleries chrétiennes. C’est là, je crois, la raison de leur insuccès en Abyssinie, où il est notoire qu’ils n’ont jamais fait un prosélyte.


Salamko. — Dessin de Eugène Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Le Nagadras arriva : après force pourparlers, voyant que nous n’avions pas de permis d’entrée en Abyssinie, il nous déclara qu’il allait en référer à son supérieur, le belambras Guelmo, grand écuyer de la couronne, margrave des quatre provinces frontières de Tchelga, Sarago, Dagossa, Ermetchoho. En attendant, il nous consigna dans son village de Kamankhela, au sommet d’un plateau qu’on aurait pu croire inaccessible, tant ses escarpements étaient vertigineux. Nous y passâmes quatre jours fort agréables, au bout desquels arriva l’ordre de Guelmo de nous diriger sur Tchelga, escortés d’un homme du Nagadras. Nous nous hâtâmes de profiter de