Page:Le Tour du monde - 12.djvu/276

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tions s’exagèrent encore pendant l’hivernage ; alors le corps fatigué s’affaisse sans trouver le repos dans l’immobilité ni la réparation de ses forces dans le sommeil ; l’intelligence alourdie s’endort et les appétits s’éteignent. Tristes effets qui sont hors de proportion avec l’élévation de la température, et dans lesquels il faut voir la résultante de plusieurs causes dont celle-ci n’est pas toujours la plus active. Combien de fois les voyageurs n’ont-ils pas remarqué ce défaut d’harmonie entre les indications de leur thermomètre et le sentiment de chaleur dont ils sont eux-mêmes accablés. Il est frappant au Gabon.

En somme, ce climat, avec ses oscillations thermométriques qui ne dépassent pas dix degrés, est presque uniforme ; mais il est, par suite, uniformément débilitant, et ce caractère se retrouve dans ses maladies. Pas d’affections excessives, peu de dysenteries, peu d’insolations ; mais beaucoup de fièvres pernicieuses, car le pays est très-marécageux, et, pour tout le monde, l’anémie avec son cortége de lassitudes sans causes, de douleurs sans lésions et de débilité sans remède.

Un pareil pays peut séduire un instant le voyageur curieux de nouveautés, ou le naturaliste amateur de richesses à peine déflorées par la science ; mais l’Européen qui n’y est pas retenu par de sérieuses obligations ne s’y attarde pas longtemps : il y campe, mais ne s’y établit pas, et je crois qu’il n’a aucune chance de s’y acclimater. Sans doute, quelques missionnaires l’habitent depuis longtemps ; mais leur vie uniforme et quasi monastique, tout en ayant des fatigues que je ne veux pas nier, les soustrait du moins aux luttes directes contre le climat que soutiennent incessamment le marin assujetti à un pénible service, ou le trafiquant décidé à fixer, à force d’énergie, les faveurs de la fortune. En tout cas, si l’Européen peut s’y acclimater, c’est à titre personnel ; mais sa race ne s’y implantera pas, car ce climat


Village des tirailleurs au Gabon. — Dessin de Thérond d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnoit.


n’est pas fait pour la femme blanche. Celle qui braverait ici les périls de la maternité tenterait une entreprise mortelle pour elle-même peut-être, et à coup sur stérile pour sa race.


Premières relations du Gabon avec les Européens. — Les Portugais à la côte d’Afrique. — Le commerce depuis l’abolition de la traite. — Véritable intérêt qu’offre le pays. — Races qui l’habitent.

Les Français de 1842 n’étaient pas les premiers Européens qui eussent tenté de s’établir au Gabon. Déjà, vers le milieu du siècle dernier, les Portugais, alléchés par l’espoir d’y trouver quelque mine d’or, avaient pris possession de l’île de Coniquet. Après des recherches infructueuses ils se retirèrent, laissant comme traces de leur passage deux petits canons que l’on voit encore à Coniquet, et un fortin dont on a quelque peine à retrouver les débris. Mais ils conservèrent des relations avec le pays et au beau temps de la traite, ils y faisaient fructueusement leurs affaires. Les Portugais ont toujours été les plus ardents négriers de toute la côte. Nous ne sommes plus au temps où leur grande colonie de Saint-Paul de Loanda tirait de ce commerce une immense richesse, et où le seul ordre des Jésuites y possédait plus de 12 000 esclaves. Bien déchue aujourd’hui de son ancienne splendeur la capitale de la province d’Angola tombe en ruine. Mais elle montre encore sur la plage, le fauteuil monumental d’où son évêque bénissait ex cathedra, et à tant par tête, les esclaves qui défilaient devant lui tout tremblants sous le fouet du négrier, et allaient s’embarquer pour quelque région inconnue. Bizarre acquiescement donné par la religion à la violence, association que nos mœurs actuelles déploreraient comme une monstruosité, mais à laquelle ne répugnait nullement la morale facile du siècle dernier. Le fauteuil épiscopal est vide aujourd’hui, mais je ne voudrais pas jurer que dans le cœur des Portugais de Saint-Paul ne vit pas encore le