Page:Le Tour du monde - 12.djvu/296

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bablement pas infaillible, car lorsqu’un Gabonais un peu riche est accusé de sorcellerie, il fait son possible pour se soustraire par des cadeaux à la terrible épreuve.

Il ne faudrait pas croire que ces sortes d’empoisonnements juridiques, résultat atroce de la plus stupide superstition, fussent propres à cette région ; à quelques degrés plus au nord, aux bouches du Niger, ils existent aussi, et c’est la fève de Calebar, l’un des plus dangereux poisons que l’on connaisse, qui accomplit l’œuvre de destruction. Ailleurs quelque autre substance, et il est probable que cette funèbre coutume s’étend sur tout le continent africain, car, en fait de superstition, tous les nègres se valent.

Notre contact et surtout notre autorité dépouille ceux qui sont auprès de nous de la cruauté de leurs mœurs ; mais il est douteux que le frottement de la civilisation les débarrasse de leur crédulité originelle. J’en excepte, bien entendu, ceux qu’une éducation complétement européenne a réellement transformés.

Le nègre d’Afrique croit aux sortiléges. Transporté tout enfant dans nos colonies, élevé ou même né au milieu de nous, entouré de soins religieux, mais sans avoir été soustrait au contact des gens de sa race, il croit aux zombis (c’est le nom qu’aux Antilles on donne aux revenants), et il porte précieusement sur lui quelque fétiche préservateur. Qu’un ministre de la religion le débarrasse de son talisman et lui donne en échange quelque pieux emblème, soyez persuadé que sa signification


Le traitant Ouassengo et ses femmes. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnoit.


toute symbolique lui échappera. Et quand il s’apercevra que sa médaille ne le préserve pas des maux contre lesquels il avait rêvé l’immunité, sans récuser la bonne foi du ministre qui la lui a donnée, il retournera à son fétiche national, en faisant à part lui cette réflexion que celui du missionnaire, excellent pour les blancs, n’est pas fait pour le pauvre noir. Il ne s’en étonne pas d’ailleurs, car il est convaincu que notre Dieu, qui nous a donné tant de puissance et de richesses, ne peut pas être en même temps le Dieu du peuple noir.

Il paraît croire du reste, par réciprocité, que nous sommes pour ses dieux des êtres indifférents, et que la puissance de ses fétiches ne nous est pas transmissible ; c’est même pour cela qu’il nous les cède quelquefois sans trop de répugnance. J’ai un jour acheté, pour quelques feuilles de tabac, une de ces figurines baroques qu’on retrouve dans tous les villages, avec un morceau de verre enchâssé dans la poitrine et des plumes de touraco rayonnant en auréole autour de la tête. Le marché fut long et difficile à conclure, car cette grotesque divinité, emmanchée au bout d’un bâton, était un grand fétiche de guerre dont de longs services avaient prouvé la valeur. Le guerrier qui la possédait la plantait en terre auprès de lui quand il avait sommeil et s’endormait exempt d’inquiétude. On comprend que l’heureux