Page:Le Tour du monde - 12.djvu/304

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deau, et chargés de régler et d’accélérer le défilé. La bizarre disproportion de leur tête et de leur corselet, rappelle tout à fait ces caricatures où l’on voit une tête colossale surmonter les épaules d’un personnage microscopique. Armés de pinces vigoureuses, ils font la police de la colonne et veillent à sa sûreté. Sur les flancs, en dehors de la double muraille, ils battent l’estrade, ramènent les fugitifs, rallient les traînards et courent sus à tout agresseur. Sous ce rapport ils n’ont pas beaucoup à faire, car il y a peu d’animaux et peu de gens disposés à les inquiéter. Les nègres, auxquels la chaussure est inconnue, n’ont garde de les fouler du pied.

Ils ont même pour respecter ces fourmis voyageuses un motif bien autrement sérieux que la crainte de leurs morsures. Je me promenais un jour avec un chef, quand nous rencontrâmes une de ces armées voraces qui traversait le sentier. Au moment de la franchir mon compagnon s’arrêta, alla cueillir une feuille à l’arbre le plus voisin, la posa délicatement dans le courant et passa. Flairant quelque mystère, je lui demandai ce que signifiait ce singulier péage. « Ma femme est grosse, me répondit-il, c’est pour qu’il ne lui arrive pas malheur pendant ses couches. » À cette singulière révélation je ne pus garder mon sérieux. Mon homme en fut blessé, et me dit d’un ton d’humeur que j’avais tort de me moquer de lui, qu’après tout, si nous autres blancs nous n’avions pas peur des fourmis, nous n’avions pas grand mérite à cela, puisque nous n’amenions jamais nos femmes au Gabon. Il faut convenir que l’argument était péremptoire.

Parfois une de ces armées envahit une case et n’abandonne la place qu’après en avoir fait un nettoyage


Palétuviers des rivières équatoriales. — Dessin de Thérond d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnoit.


complet. Cancrelats, scorpions, centpieds, vermine de toute espèce, tout est dévoré en un clin d’œil, tout ce qui a vécu, de la vie animale du moins, car les substances végétales n’ont rien à craindre de ces invasions. Elles ont leur ennemi particulier et qui n’est pas moins dangereux, c’est le termite. Si le termite et la fourmi se liguaient contre un village, en quelques jours tout aurait disparu ; heureusement il n’est pas de plus mortels ennemis. Comme la fourmi, le termite est ici une race féconde en variétés. Le plus nuisible est celui qui, acclimaté en Europe, a menacé de destruction les digues de la Hollande et qui mine encore en silence quelques maisons de la Rochelle et de Rochefort ; travail mystérieux dont M. de Quatrefages et M. Michelet ont donné de si intéressants récits. Un autre bâtit de véritables monticules de deux ou trois mètres d’élévation creusés d’une multitude de cellules, œuvre plus gigantesque, proportionnellement à la taille de l’ouvrier, que la construction des Pyramides de l’Égypte. — Une troisième, construit dans les arbres de grands nids globuleux composés de particules de terre et de bois agglutinées. — Un autre enfin élève sur le sol de gros cylindres de cinquante centimètres de hauteur surmontés d’un large chapiteau dentelé. On dirait un énorme champignon celluleux à l’intérieur.

L’espace me manque pour parler des araignées aux couleurs variées, des mantes, du cyphocrane qui semble un insecte de fantaisie fabriqué avec des baguettes de bois mort, et d’autres animaux qui composent la faune peu riche peut-être, mais réellement curieuse de la région gabonaise.

Griffon du Bellay.

(La fin à la prochaine livraison.)