Page:Le Tour du monde - 12.djvu/307

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entier pour l’armer ; mais comme elle se détend sous une légère pression et peut s’épauler comme un fusil, elle ne manque pas de justesse. Quant au poison dont la flèche est enduite, ses effets sont terribles. On doit toujours accueillir avec une certaine réserve les récits des naturels et même ceux des voyageurs sur de pareils sujets. Mais un habile physiologiste, M. Pélikan, me vient très-à-propos en aide, par une communication qu’il a faite récemment à l’Académie des sciences. Il a expérimenté cette substance, dont j’ai déposé des échantillons à l’Exposition coloniale, et reconnu en elle un des poisons qui agissent sur le cœur avec le plus de violence. Il s’extrait des graines d’une plante grimpante nommée inée ou onaye, qui appartient à la famille des apocynées, peut-être au genre échites, et qui est très-rare, du moins autour de nos comptoirs.

L’arc avec sa flèche empoisonnée est plutôt une arme de chasse que de combat, car la nécessité de s’asseoir pour l’armer la rendrait incommode dans une lutte.

Quand nous eûmes parcouru le village, mes compagnons et moi, furetant dans toutes les cases, et y rencontrant à chaque pas des armes ou des objets inconnus aux Gabonais, nous revînmes à la case du chef. Des tamtams arrivèrent en toute hâte avec d’autres instruments de musique, basés sur le principe de l’harmonie, et tout le village entra en danse. Les femmes qui portaient l’ito avaient mis un soin tout particulier à en étaler l’éventail ; il est clair que c’est sur le trémoussement de cette parure excentrique qu’elles fondaient l’espoir de leur succès. Leur danse est peu compliquée. Deux longues files de danseurs et de danseuses, conduites chacune par un coryphée, serpentent devant l’orchestre, se cherchant et s’évitant tour à tour, s’animant peu à peu, pour finir par les gambades les plus extravagantes.

Peuple éminemment guerrier, les Pahouins ont de véritables danses de caractère dont je n’ai pas été témoin, mais que m’a plus d’une fois racontées mon collègue, M. le docteur Touchard, qui a longtemps vécu auprès d’eux, et à l’obligeance duquel je dois plus d’un renseignement intéressant. Deux guerriers s’avancent l’un vers l’autre armés de toutes pièces et la tête couronnée d’une large aigrette en plumes de tourako ou de merle métallique. Ils portent au cou un collier de dents de tigre ; à l’épaule gauche est suspendu un grand couteau de guerre enfermé dans sa gaîne en peau de serpent ; à la ceinture une peau de bête sauvage et un poignard large et court ; dans la main gauche, un faisceau de sagayes ; au bras droit, un large et épais bouclier en peau d’éléphant. Quand ces personnages, bardés de leur formidable arsenal, se livrent à des passes d’armes, les narines dilatées et respirant la guerre, la bouche entr’ouverte et laissant voir leurs dents acérées, on sent qu’on est en présence d’une population vraiment énergique.

Les Européens qui ont eu occasion de vivre parmi