Page:Le Tour du monde - 12.djvu/346

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se dressent çà et là dans Pontypool, ne mérite de fixer longtemps l’attention du voyageur.

Je préférai parcourir la ville en flâneur, en désœuvré, et, de retour des forges et des houillères, varier par le spectacle des rues, celui de la campagne et des grands ateliers industriels. Je me laissai aller ainsi au hasard, m’arrêtant le long des vitrines des magasins, regardant les passants pour ainsi dire sous le nez, prenant cette voie, puis cette autre, traversant cette place, ce passage, le tout sans plan, au caprice des yeux et des jambes. C’est ainsi qu’il faut étudier les villes et leurs habitants, même les cités les plus importantes, et l’on s’en trouve d’ordinaire très-bien.

À Pontypool, il n’y avait naturellement aucune découverte à faire ; je ne m’attendais à être le Christophe Colomb d’aucun monde nouveau, et c’était à la seule fin de tuer le temps, comme on dit, en attendant le départ du railway qui ne chauffe pas toutes les heures pour Newport, que j’allais me promenant par la ville.

J’arrivai de la sorte devant la boutique d’un charlatan. Je m’arrêtai.

« Devinez ce qui frappa mes regards, ce qui attira surtout mon attention ?

— L’annonce d’une femme à barbe, d’un serpent de mer ?

— Vous n’y êtes pas.

— Le boniment du loustic de la troupe ?

— Encore moins.

— Alors, quoi donc ? Les instruments de cuivre des musiciens de l’estrade, aux formes étranges, aux notes plus étranges encore ?

— Nenni ; je vous le donne en cent.

— Moi, je donne ma langue aux chiens.

— Eh bien ! sur une immense toile, dessinée je ne sais par quel rapin, on avait représenté la prise de Luknow ou de Delhi, enfin un épisode de la révolte de l’Inde en 1858. Au milieu de toutes les horreurs et des affreux massacres auquel le siége donnait lieu, on voyait les pauvres Indous, attachés à la bouche des canons, projetés en morceaux par l’explosion de la mitraille, et au-dessous cette simple inscription, horrible dans sa simplicité : Blowing sepoys from the guns. Elle perd à être traduite en français, car rien ne peut ici égaler la force de l’anglais blow, chasser par explosion ; c’est comme s’il y avait : tir des canons bourrés de cipayes. Le spectacle dessiné sur l’affiche était sans doute celui dont on jouissait dans l’intérieur de la baraque, en panorama ou autrement. »

Et maintenant, je le demande, quels bons et généreux sentiments les Anglais veulent-ils communiquer aux classes populaires, s’ils les habituent à de pareils spectacles ? Écartons plutôt nos yeux de telles scènes ; elles ont eu assez de retentissement à l’époque où elles ont eu lieu pour n’aller pas aujourd’hui en réveiller le souvenir. Mais s’il ne faut point se répandre en récriminations d’autant plus vaines que le mal est irréparable, il faut encore moins tirer gloire du mal qui a été fait. Le donner en spectacle au peuple, c’est vouloir entretenir les classes inférieures dans des sentiments de cruauté, d’animosité, de haine auxquels elle n’est que trop portée. Je laisse à l’économie sociale, qui compte aujourd’hui de si nombreux et si remarquables adeptes, le soin de développer cette thèse, et je reviens à mes excursions.

Nous nous rendîmes de Pontypool à Newport par une de ces lignes ferrées transversales si nombreuses qui descendent le long des vallées du pays de Galles jusqu’à la mer. Les houillères et les forges ont nécessité la création de ces railways pour le transport du combustible et du fer jusqu’aux ports du littoral bordant le canal de Bristol.

Le chemin de fer que nous parcourûmes (Eastern Valleys railway) n’offre guère d’intérêt, si ce n’est par les noms gallois de ses stations qu’un gosier celte peut seul prononcer sans peine. C’est ainsi que Pontnewydd, Cwmbrân, Llantarnam, se déroulèrent successivement à nos regards, et si ce n’eussent été les plaques de chaque station portant en lieu apparent les noms écrits en grosses lettres, nous n’eussions certes jamais compris les chefs de gare gallois épelant ces noms d’une façon absolument inintelligible pour nous. Les autres voyageurs, naturellement plus familiarisés avec les syllabes celtiques, descendaient sur les cris des chefs de gare quand ils étaient arrivés à destination, et quittaient le wagon en nous saluant : on est fort poli dans le pays de Galles.

Newport, terme de notre nouveau voyage, est situé sur la rivière Usk, qui se jette dans la Severn, ou plutôt le canal de Bristol. En face, sur le bord opposé du canal, est l’embouchure de l’Avon, la rivière que nous avions descendue en quittant Bristol. (Voir la première partie du voyage au pays de Galles).

Comme à Cardiff, le commerce d’exportation du charbon forme à Newport la principale industrie des habitants. Tout le monde vit de la houille, et tout le monde en paraît satisfait. Le port est des plus sûrs, plus vaste que celui de Cardiff ; la ville surtout est beaucoup plus belle, beaucoup mieux tracée. Il y a de jolies églises aux flèches élancées, quelques-unes de construction ancienne, çà et là quelques édifices qui déroulent d’imposantes façades.

Les docks et les bassins de Newport méritent surtout une visite. Dans les bassins se balancent de magnifiques navires, des clippers aux formes élancées, à quatre mâts, attendant leur chargement pour porter vers l’un et l’autre hémisphère l’indispensable houille. Des grues, des cages basculantes de forme ingénieuse, disposées le long des quais, versent le charbon dans les soutes des bâtiments. Les quais eux-mêmes sont superbement pavés, et de larges dalles en granit en marquent les bordures. En se retournant vers Newport, le panorama qui se développe aux regards est tout à fait magique : on a devant soi la ville de plain-pied ; à droite et à gauche elle s’élève sur des coteaux, et ces coteaux eux-mêmes sont couronnés de taillis touffus d’où sortent des villas, des cottages, et jusqu’à de vieilles tourelles prêtant au