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Rocio (de la Virgen del Rocio, pèlerinage très-connu des environs de Séville), — Soledad (Solitude, qu’on prononce tantôt Soléda, tantôt Soléa), — Salud (prononcez Salou, de Nuestra Señora de la Salud, c’est-à-dire de la Santé), — Candelaria (du Candelario, ou cierge pascal), — Aurora (un nom illustré par une des plus célèbres danseuses gitanas de Séville : Aurora, surnommée la Cujiñi, mot qui, dans le langage des gitanos, signifie la Rose), — Milagros (miracles), — Geltrudis (Gertrude), etc., etc.

L’autre extrémité de la calle de las Sierpes aboutit à la plaza de la Constitucion, dont un des côtés est occupé par l’hôtel de ville ou Ayuntamiento. La Casa del Ayuntamiento, construite dans la première moitié du seizième siècle, est un des plus beaux spécimens de l’architecture plateresque en Espagne ; le mot plateresco, employé par les Espagnols pour désigner le style de la renaissance, est emprunté à l’orfévrerie : les riches détails d’ornementation prodigués par les artistes de ce temps sur les monuments ont presque la finesse des ciselures sur or ou argent.

On ignore à quel artiste sont dues les belles sculptures de la Casa del Ayuntamiento ; elles portent l’empreinte du goût de la renaissance italienne, et sont peut-être l’ouvrage de quelqu’un des nombreux artistes italiens qui vinrent s’établir à Séville dès les premières années du seizième siècle, à moins qu’elles ne soient l’œuvre de quelque sculpteur espagnol comme le Berraguete ou Becerra, qui allèrent, ainsi que beaucoup de leurs compatriotes, se former en Italie à l’école de Michel-Ange.

Au premier étage est une belle galerie qu’on ouvre le jour de la fête de la reine, dont on expose le portrait avec accompagnement de musique militaire.

Malheureusement, ce beau monument n’a pas été achevé ; parmi ses ornements, qui ont été récemment réparés avec goût et intelligence, figurent les armes et devises de Séville ; il va sans dire que la capitale de l’Andalousie a, comme toutes les autres villes d’Espagne, ses titres de noblesse et ses armes particulières : celles-ci datent, dit-on, de l’année 1311 ; elles représentent saint Ferdinand assis sur son trône, une large épée dans la main droite, accompagné de saint Isidore et de saint Léandre, les deux patrons de la ville, qui se tiennent debout à ses côtés ; on y lit cette inscription :

Sello de la muy noble ciudad de Sevilla.

« Sceau de la très-noble ville de Séville. »

Et au-dessous la devise :

NO 8 DO

Cette devise, que les Espagnols appellent empresa et qui est l’équivalent des imprese italiennes, se retrouve à chaque instant sur tous les monuments de Séville ; elle forme une espèce de rébus, peu intelligible au premier abord, qui demande une explication particulière.

Vers la fin du treizième siècle, le roi Alfonso el Sábio, le Savant, ayant été détrône par son fils Don Sancho presque toutes les provinces et la plupart des villes de son royaume s’insurgèrent contre lui ; Séville seule lui resta fidèle, et, en récompense de sa loyauté, le roi lui octroya cette empresa qu’on appelle el Nodo, le nœud ; entre les deux syllabes du mot NO-DO se trouve un signe qui a la forme d’un 8 et qui représente un nœud, nodo, ou un écheveau, en ancien espagnol : madexa ; or ce mot, intercalé entre les deux syllabes ci-dessus, forme la phase : No-madexa-do, ou no m’ha dexado, ce qui signifie, littéralement : Elle ne m’a pas abandonné ; le nœud, nodo, pris isolément, sert en outre d’emblème et fait allusion au lien de fidélité qui unissait Séville à son roi.

Disons également quelques mots de la devise des rois catholiques Ferdinand et Isabelle, qu’on rencontre si fréquemment sur les monuments espagnols, mais à Séville plus que partout ailleurs. Cette empresa ou emblema est ordinairement renfermée dans deux écussons, l’un représentant un faisceau de flèches, — flechas — ; l’autre un joug, — yugo ; — au-dessous des flèches se voit une F gothique, qui est en même temps la première lettre du mot flechas et l’initiale du nom de Fernando ; de même que, dans l’autre écusson, l’Y commence également le mot yugo et le nom d’Ysabel.

Sous le règne des rois catholiques l’F et l’Y furent très-souvent employés non-seulement dans l’ornementation des monuments, mais même dans la décoration d’objets usuels ; ainsi nous avons vu plusieurs fois ces deux lettres figurer sur d’anciennes armes espagnoles et sur ces beaux plats ornés de brillants reflets métalliques qui figurent dans toutes les collections d’amateurs sous le nom de faïences hispano moresques, et qui se fabriquèrent dans plusieurs provinces d’Espagne aux quinzième et seizième siècles.

En outre, le joug qui figure dans la devise de Ferdinand et d’Isabelle est accompagné des deux mots TANTO MONTA, qu’on a interprétés de différentes manières, mais dont le sens le plus vraisemblable est : Tanto monta Fernando como Ysabel, c’est-à-dire que les deux princes s’élèvent autant l’un que l’autre et exercent la même autorité. Les espèces de rébus que nous venons de citer étaient anciennement très à la mode en Espagne ; ainsi l’on imprimait sur les épaules des esclaves, au moyen d’un fer chaud, une S et un clou (clavo), ce qui se lisait, en espagnol, esclavo, c’est-à-dire esclave.

Les rues les plus fréquentées de Séville, après la calle de las Sierpes, sont celles de Dados et de Francos, qu’on pourrait comparer à la rue Saint-Denis ; elles sont occupées par les magasins d’étoffes, les sombrereros à la porte desquels s’étalent les chapeaux andalous du dernier genre, les merciers et les marchands d’habits tout faits, — ropa hecha.

Comme dans la plupart des anciennes villes, chaque rue est, pour ainsi dire, réservée à certains marchands ; ainsi, dans la calle de Genoa demeurent la plupart des libraires ; la calle de Genoa est aussi le théâtre ordinaire des fameuses processions ou pasos de Séville, dont nous