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neur de l’avoir également importée sur la houillère d’Epinac.


II

UN PAYS NOIR.


Maisons d’ouvriers. — Mariés et célibataires. — Les invalides du travail. — Le corps, l’esprit et l’âme. — L’ouvrier-propriétaire. — Vue générale du pays. — Cincinnatus. — La voie ferrée d’Épinac. — Cussy-la-Colonne et la colonne de Cussy. — La Bourgogne vineuse. — Le port de Pont-d’Ouche. — Roland à Roncevaux.

Après avoir jeté un coup d’œil sur la ville souterraine des houilleurs, il convient de visiter le district qu’ils habitent, ce que les Anglais appellent le pays noir, en l’honneur du charbon qui donne aux contrées houillères une teinte et un aspect caractéristiques.

Épinac-les-Mines dépend du canton d’Épinac, limitrophe de la Côte-d’Or et compris lui-même dans la sous-préfecture d’Autun. Comme le bourg est assez éloigné de la houillère, la compagnie des mines d’Épinac loge ses ouvriers.

À cet effet, elle a bâti une vaste cité, où des logements isolés sont mis à la disposition des mineurs. Cette cité, édifiée au lieu dit la Garenne, non loin du puits où nous sommes descendus, est percée de rues larges, bien ouvertes, tirées au cordeau. Les logements ont leur façade sur la rue ; derrière est la cour, le jardin. Les types des maisons sont divers. Ici, les logements sont tout à fait isolés ; là, ils sont par couples ; mais toujours une famille habite seule. Les logements sont composés de deux pièces, l’une servant de chambre à coucher, de salle à manger et de cuisine ; l’autre, pour le linge et les lits des enfants. Il y a aussi les mansardes pour les débarras, et la cave pour le vin et les provisions.

L’isolement des habitations a été reconnu indispensable, et il a fallu revenir à Épinac, comme dans toutes les mines, sur le type des maisons communes ou cités ouvrières, que dans le principe tous les industriels avaient adoptées pour abriter leurs travailleurs.

Les célibataires habitent à Épinac la maison commune des premiers jours. On l’a transformée en chambres garnies à l’usage de ceux que n’ont pas encore joints les liens de l’hyménée, pour parler comme les poëtes classiques. Ces chambres sont commodes, bien éclairées, de dimensions convenables, munies d’un lit, d’une armoire, d’une table à toilette, d’une cheminée. Les murs sont blanchis à la chaux, le plancher est carrelé ; dans bien des hôtels de petite ville, on n’est pas mieux logé.

Toutes les chambres s’ouvrent sur un corridor commun ; elles occupent le premier étage de l’ancien phalanstère. Au rez-de-chaussée est une autre série d’appartements, livrés généralement à des familles de mineurs. Sur le même plan est la cantine, ou plutôt l’établissement alimentaire où se confectionne sans relâche, dans une énorme chaudière, le pot-au-feu sacramentel. C’est une sorte de Bouillon-Duval à l’instar de Paris. L’on y sert aux ouvriers non mariés, en retour de jetons dont le prix varie de cinq à quinze centimes, suivant la nature des portions, d’excellents et copieux repas. Les familles viennent elles-mêmes quelquefois se fournir à la cantine, tant la qualité des mets y est de premier choix.

Voilà le vivre et le toit garantis à ceux qui sont bien portants. On a pensé aussi aux blessés, aux malades, aux infirmes ; les soldats des souterrains, comme ceux de l’armée, méritent d’avoir leurs Invalides. C’est pourquoi on a fondé une infirmerie, où les ouvriers sont soignés gratuitement. La caisse de secours, à laquelle chacun contribue par une retenue de trois pour cent sur son salaire mensuel, assure à l’ouvrier, malade ou blessé, les visites du médecin et les remèdes, et de plus une paye journalière pendant tout le temps de son chômage. L’ouvrier vieux et infirme jouit d’une retraite jusqu’à sa mort. C’est ainsi que fonctionne sur les mines la caisse des Invalides du travail.

La satisfaction à donner aux besoins matériels des mineurs n’a pas seulement préoccupé les exploitants. Ils ont aussi fondé un asile, des écoles gratuites pour les enfants, des cours d’adultes, une bibliothèque, et garanti par là aux ouvriers en quelque sorte le bien-être de l’esprit. Enfin on a pensé aussi aux besoins de l’âme, et une église a été projetée pour que cette intéressante population jouisse de tous les secours que la religion peut donner.

L’hôpital, l’école et l’église sont désormais à portée du mineur. Son logement est confortable, sa nourriture abondante, variée, et le pays qu’il habite des plus sains. Ce tableau n’est pas chargé à plaisir ; chacun y peut aller voir. Que reste-t-il à faire pour rendre le travailleur le plus heureux homme du monde ? Lui donner les moyens d’acquérir un lopin de terre, de construire ou d’acheter sa maison, en un mot,

De bâtir un château de ses économies !

comme le sous-lieutenant de la Dame Blanche. Ce rêve de l’ouvrier-propriétaire, caressé par les économistes, caressé par l’ouvrier de tous les temps et de tous les pays, a été accompli sur d’autres mines ; mais la compagnie d’Épinac s’est jusqu’ici refusée d’en faciliter à ses mineurs la réalisation. Nous croyons que la compagnie a tort. Attacher l’ouvrier au sol, ce n’est pas mettre dans ses mains le monopole, la coalition du travail, comme on pourrait le croire ; c’est le rendre conservateur, ennemi des grèves et du cabaret, ami de l’épargne. C’est lui permettre de satisfaire l’ambition de presque tous ici-bas, parla possession d’un morceau de terre, qu’on passe sa vie à arrondir, à agrandir, comme si la terre, où nous devons tous retourner, devait auparavant recevoir notre plus grande somme d’effort et de travail. Et puis, faut-il le dire ? le mineur, sur les houillères, ne paye pas toujours de bonne grâce son loyer à la compagnie exploitante, quelque minime que soit la redevance exigée, et volontiers,