on la distille dans une sorte de chaudière fermée ou cornue, chauffée par le bas. L’huile se volatilise, gagne le haut de la cornue, et traverse un tuyau plusieurs fois enroulé sur lui-même, ou, comme on dit, un serpentin. Le serpentin baigne dans un courant d’eau froide. L’huile se condense et se liquéfie. On la recueille dans des récipients. Elle a une couleur jaune foncée caractéristique, et sent le goudron. Par de nouvelles distillations, on la décolore, on la désinfecte, et l’on obtient une huile blanche, baptisée d’abord par les industriels du nom d’huile de schiste, et plus tard, à l’époque où ont été découverts les célèbres pétroles des États-Unis, du nom de pétrole français. Cette huile peut servir à l’éclairage comme le pétrole américain. Le mal est que les détaillants étudient à la mélanger avec des huiles impures, à l’altérer pour gagner davantage sur le produit vendu. Ils font l’inverse de ce qu’ont fait les exploitants sur la mine, et remettent en quelque sorte dans l’huile purifiée les produits inférieurs qu’on en avait retirés. Franchement ce n’était pas le cas de prendre tant de soins pour la rectification de l’huile de pétrole.
Donnons quelques chiffres qui résument cette curieuse industrie. À l’usine à schiste de Lally, située presque à moitié route entre Épinac et Autun, et au nord du bassin houiller, on exploite une couche bitumineuse de trois mètres de puissance, gisant à vingt-huit mètres de profondeur. On retire moyennement des schistes cinq pour cent d’huile brute dont on sépare l’huile rectifiée, et les produits secondaires, tel que le goudron et la paraffine, dont on fait des bougies. Rien ne se perd dans le travail du schiste.
Le château d’Épinac. — Dessin de Thérond d’après une photographie.
Heureux de pouvoir mêler aux études industrielles un peu d’archéologie, je quittai l’usine de Lally, pour me rendre à Autun. La ville est sur une éminence, au pied de laquelle passe une rivière, l’Arroux, qui se jette dans la Loire, à Digoin. En moins d’une heure j’arrivai devant l’antique porte qui emprunte son nom à la rivière, et qu’on eût mieux fait d’appeler du nom d’Auguste, comme une de ses sœurs de Nîmes. Ce nom eût rappelé aussi celui d’Autun ou Augustodunum.
La porte d’Arroux est un de ces arcs de triomphe dont les Romains marquaient l’entrée de leurs villes, comme s’ils eussent voulu passer partout en conquérants. Elle est composée de deux vastes arcades au centre et de deux petites portes latérales. Au dessus règne une rangée de dix arcades séparées par des pilastres cannelés. Une corniche corinthienne couronne le monument. Le tout est du plus pur style, et offre dans l’ensemble, comme dans les détails, cette netteté, cette correction, cette sobriété, dont les architectes de la Grèce et de Rome ont emporté le secret avec eux.
J’entrai dans Autun par la porte d’Arroux, ni plus ni moins qu’un centurion de l’Empire, et gravissant une série de rues montantes, je me rendis au sommet de la ville, ou j’allai voir la cathédrale. Elle date du onzième siècle, et l’architecture mérite d’en être étudiée. Elle est de ce style de transition qui relie l’arc roman ou byzantin à l’ogive. La flèche est du plus pur gothique et très-élevée. Au milieu de tout cela quelques pastiches fâcheux, que les modernes, par ignorance ou défaut de goût, ont imposés à cette belle construction.
Le musée d’Autun m’attirait plus encore que la cathédrale ; je ne parle pas du musée des tableaux, tous assez mauvais, sauf un portrait du général Changarnier, mais du musée d’antiquités. Je vis là avec plaisir des verreries et des bronzes revêtus d’une belle patine, des mosaïques, des marbres sculptés, des restes de vases et d’amphores, des objets en fer forgé, rongés par la rouille. Tout cela portait le cachet de l’époque gauloise ou romaine. Qui sait si quelque vergobret (chef des Éduens), n’a pas ceint cette lourde épée, coiffé ce casque et chaussé ces éperons ?