des étrangers, des Romains, des paysans, des religieux, tous fraternellement serrés ensemble ; puis au-dessous, venait l’armée française, divisée en deux vastes carrés, avec l’état-major au centre en avant de l’obélisque ; près de l’obélisque, les habitants des faubourgs de Rome, en costumes, occupaient leur place traditionnelle ; à droite et à gauche, se tenait l’armée pontificale ; en arrière, venaient la cavalerie, l’artillerie, puis toutes les voitures romaines sur lesquelles s’élevaient des pyramides humaines. Qui n’a pas vu la place Saint-Pierre avec ses édifices ainsi bourrés de monde ne peut se faire une idée d’un pareil spectacle.
J’avais réussi à me placer au haut de la pente qui joint l’escalier à la place, un des bas degrés, et en avant du front des troupes françaises ; la loggia était encore vide. Bientôt y apparurent les porteurs des tiares qui les déposèrent sur la balustrade, puis les cardinaux, deux à deux, défilèrent après avoir regardé la place, et le pape, porté sur sa sedia, fut déposé sur le massif destiné à le soutenir. Il se tint assis, lisant en chantant jusqu’aux mots « et Benedictio ; » ensuite il se tint debout, éleva ses mains en l’air et donna la bénédiction en les ramenant sur la foule ; c’était le même cérémonial que lors du jeudi saint, mais avec beaucoup plus de pompe dans les ornements pontificaux ; le temps serein, clair, inondait tout d’une lumière intense, et la foule répondit à la bénédiction par une chaleureuse ovation qui, me sembla-t-il, illumina doucement le visage du saint-père ; il donna une seconde fois la bénédiction, et disparut pendant que le canon tonnait toujours au château Saint-Ange et que les cardinaux jetaient sur la place les deux feuilles portant le bref d’indulgence.
La messe de Pâques, la bénédiction qui la suit, forment réellement un ensemble imposant et merveilleux.
Je m’assis sur les marches de la Basilique et, avec quelques milliers de curieux, j’assistai au défilé des cardinaux et des grands personnages qui sortaient de Saint-Pierre et du Vatican. Les voitures venant soit de la cour Saint-Damase, soit de la sacristie, passaient forcément en biais devant moi. Nous ne nous figurons plus en France ce que c’est que ces grands cortéges officiels disparus avec le siècle dernier ; on eût dit aujourd’hui que l’on assistait à la fin d’une cérémonie où figuraient les cours européennes du dix-septième siècle ; carrosses, laquais, costumes, ornements, tout prêtait à l’illusion.
Les carrosses des cardinaux surtout sont splendides ; ils sont rouges, avec armoiries, devises ou emblèmes ; dorés dans le haut et couronnés comme d’un fronton ouvragé, ils ont des glaces énormes qui laissent apercevoir, au dedans, le cardinal en grand costume, assis sur la banquette du fond, et devant lui son secrétaire et son caudataire. Sur le siége, trône un énorme cocher galonné, doré, empanaché, à perruque blanche ; derrière, s’étagent trois ou quatre laquais à bas blancs, à livrées assorties avec celle du cocher ; les chevaux, richement harnachés, ont, selon la dignité de leurs maîtres, de gros pompons de soie bleue ou rouge sur la tête ; et derrière ce carrosse de cérémonie, en viennent deux autres un peu moins luxueux, mais garnis de laquais en même livrée.
Les ambassadeurs ont, selon leur goût, leur fortune, leur budget, des livrées plus ou moins brillantes ; il y a généralement lutte entre les ambassadeurs pour représenter leurs puissances respectives avec le plus d’éclat possible, et les livrées sont le plus souvent choisies dans les couleurs claires, fragiles ; elles sont couvertes de broderies de soie et de métal ; livrées délicates, changeantes, facilement détériorées, et prouvant combien l’argent coûte peu aux pays qui en affublent les domestiques de leurs représentants. Aujourd’hui défilent devant moi des livrées blanches, bleu de ciel, orangées, roses, vertes, couvertes de galons d’or et d’argent.
Les princes romains, les grands dignitaires, les personnes riches, rivalisent aussi d’élégance avec les ambassadeurs et les cardinaux ; l’Italie ne craint pas la couleur comme nos pays du nord et de l’occident où le noir est de fête et envahit jusqu’aux costumes officiels ; il faut avouer que ce défilé d’équipages est un plaisir pour les yeux ; jamais je n’ai assisté à un défilé aussi long et aussi réussi que cette sortie du public de Saint-Pierre, et l’ensemble a certainement grand air, bien que les détails prêtent souvent à la critique.
Depuis une heure jusqu’à quatre, les équipages succédèrent aux équipages ; la foule ne semblait pas bouger, et je me demandais avec stupéfaction si, au lieu de voir tout ce monde quitter la place, je n’avais pas, au contraire, assisté à son arrivée, tant l’espace était toujours plein.
Les paysans italiens déjeunaient philosophiquement de galettes dures et de brocolis froids, triste nourriture devant les splendeurs qui défilaient devant eux ; j’avais faim et je pensai au retour ; je me glissai sur la chaussée, derrière un des carrosses des sénateurs, et allant doucement, m’arrêtant quand la voiture s’arrêtait, j’arrivai au pont Saint-Ange ; la circulation des trottoirs était impossible ; la foule y était compacte, et je pense qu’elle prenait déjà place pour voir l’illumination de la coupole. Je me reposai chez moi, et laissai les gens infatigables aller assister aux ostensions des reliques à Sainte-Marie-Majeure, à Saint-Jean-de-Latran et à Sainte-Praxède.
Vers sept heures et demie du soir, je me dirigeai vers l’Académie de France, afin de voir l’illumination de la coupole ; c’était un peu loin de la Basilique, et les voyageurs cherchent toujours à se placer plus près, soit, par exemple, au château Saint-Ange ; mais si l’illumination, vue du Pincio, perd en vigueur, elle gagne beaucoup en netteté ; la fumée et les étincelles disparaissent à cette distance, et la coupole se détache lumineuse sur le fond noir du ciel. Dès l’Ave Maria, les allumeurs mettent le feu aux petits pots qui composent le premier feu, puis ils attendent huit heures ; aussitôt que le premier coup de huit heures se fait entendre, avec la rapidité d’une traînée de poudre, la Basilique, des pieds à la croix, se couvre de gros points lumineux, et complète