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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/326

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usages du pays n’admettaient pas de témoins aux passes d’armes féminines.

On dit que les amazones japonaises se servent aussi avec beaucoup d’adresse d’une sorte de serpette retenue à leur poignet, par un long cordon de soie. Cette arme est destinée à être lancée à la tête de l’ennemi, puis immédiatement retirée à l’aide du cordon de soie.

Les hommes lancent de même l’éventail et le couteau, mais sans les attacher, et tout à fait selon le procédé que l’on emploie en Italie pour jeter le stylet.

Yashitzoné, l’un des héros de l’ancien empire des Mikados, était de taille exiguë et ne portait ni bouclier, ni casque, ni hallebarde ; cependant il défiait les plus redoutables chevaliers, et ne manquait jamais de les battre en combat singulier. Grâce à l’habileté avec laquelle il jouait de son éventail de guerre pour éblouir son antagoniste, distraire son attention, ou même lui porter un coup entre les deux yeux, il était assuré de le mettre en défaut et de le tenir bientôt à la merci de son sabre. Les dessinateurs japonais le représentent debout au sommet d’un pilier, où il s’est élancé pour esquiver un coup de hallebarde de je ne sais quel formidable assaillant, tout bardé de fer : là, il se tient en équilibre sur un pied, et agitant de la main gauche son éventail, il balance son sabre de la main droite, l’œil fixé sur la tête gigantesque qu’il va faire tomber d’un seul coup (V. p. 321).


Samouraï enfant, suivi de sa sœur portant le sabre du jeune gentilhomme. — Dessin de Émile Bayard d’après une gravure japonaise.

C’est dans leurs armes que les nobles japonais font le plus de luxe et mettent le plus d’orgueil. Leurs sabres surtout, dont la trempe est sans rivale, sont généralement enrichis, à la poignée et sur le fourreau, d’ornements en métal gravés et ciselés avec une grande finesse. Mais ce qui fait principalement la valeur de ces armes, c’est leur ancienneté et leur célébrité. Chaque sabre, dans les vieilles familles de daïmios, a sa tradition, son histoire, dont l’éclat se mesure au sang qu’il a versé. Un sabre neuf ne doit pas rester vierge entre les mains de celui qui l’achète. En attendant que l’occasion se présente de le plonger dans le sang humain, le samouraï qui en est devenu possesseur l’essaye sur des animaux vivants et, mieux encore, sur des cadavres de suppliciés. Quand le bourreau lui en a livré, moyennant autorisation supérieure, il les attache en croix ou sur des chevalets dans une cour de son habitation, et il s’exerce à trancher, taillader et pourfendre, jusqu’à ce qu’il ait acquis assez de force et d’adresse pour couper à la fois, par le milieu du torse, deux cadavres liés l’un contre l’autre.

On peut se figurer l’aversion que les armes à feu de l’occident doivent inspirer à ces gentilshommes japonais, pour lesquels le sabre est à la fois l’emblème de leur vaillance et de leurs titres de noblesse. Quand un fils de samouraï est encore trop jeune garçon pour qu’on puisse lui passer des armes à la ceinture, on le fait accompagner, à la promenade, d’un coskei ou même d’une grande sœur, qui marche respectueusement derrière lui, à quelques pas de distance, en tenant de la main droite, par le milieu du fourreau, un sabre d’ailleurs approprié à la taille du petit personnage. Encore un an ou deux et l’escrime va devenir la principale occupation de sa vie !

Le Taïkoun ayant envoyé une élite de ses jeunes yakounines à Nagasaki pour y apprendre le maniement des armes a feu, sous le commandement d’officiers hollandais, lorsqu’ils furent de retour à la capitale et répartis dans les casernes où ils devaient faire l’instruction de la nouvelle infanterie japonaise, leurs anciens camarades, criant à la trahison, s’emportèrent jusqu’à les assaillir à main armée. De part et d’autre il y eut des victimes. Cependant la déchéance du sabre n’en est pas moins irrévocable. Malgré le prestige traditionnel dont la caste privilégiée s’efforce encore de l’entourer ; malgré le mépris qu’elle affecte pour les innovations militaires d’un gouvernement qui lui est d’ailleurs antipathique, l’arme démocratique, égalitaire par excellence, le fusil s’introduit au Japon, et avec lui, sans aucun doute, une incalculable révolution sociale, comme le fait assez pressentir la résistance instinctive, mais infructueuse des représentants du régime féodal.

La conduite même des chefs du parti féodal doit avoir pour effet de précipiter la catastrophe. Les conspira-