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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/328

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tions de palais, les assassinats politiques se multiplient à Yédo avec une effrayante rapidité. Il paraît avéré que non-seulement plusieurs ministres d’État, mais deux Taïkouns successivement ont péri de mort violente dans l’espace des douze dernières années. Le même sort a atteint le gotaïro ou régent, Ikammon-no-Kami, tuteur du jeune souverain qui est mort en 1866. Son palais est situé sur une colline, dans la partie septentrionale du quartier de Kourada, en face des larges fossés et des hautes murailles de la dernière enceinte du Castel. Il domine, à l’est et au sud, de grands carrés de rues formés par plus de cinquante résidences seigneuriales, parmi lesquelles celles des familles Kouroda, Yamasiro, Aki, Siwo, Ossoumi, Sinano, Simosa, Bizen, Tanga, Wakasa. C’est dans ce voisinage princier que, le 24 mars 1860, à onze heures du matin, le Régent, porté en norimon et sortant du Castel par le pont de Sakourada, avec une escorte de quatre à cinq cents hommes, fut assailli par une bande de dix-sept lonines, sur la spacieuse voie publique qui longe le fossé dans la direction de son propre palais. Des deux côtés l’on se battit avec acharnement : une vingtaine de soldats de l’escorte tombèrent à leur poste ; cinq conjurés périrent les armes à la main ; deux s’ouvrirent le ventre ; quatre furent faits prisonniers ; les autres s’échappèrent, parmi eux le chef de l’expédition, emportant dans son manteau la tête du Régent. Le bruit public ajoute qu’elle fut exposée dans le chef-lieu de province où réside le prince de Mito, instigateur de la conjuration, puis à Kioto même, devant les bâtiments du daïri, et enfin que les gens d’Ikammon-no-Kami la trouvèrent un jour dans le jardin de son palais, où elle avait été évidemment jetée la nuit par-dessus les murailles.


Prêtresse du culte kami. — Dessin de Émile Bayard d’après une esquisse japonaise.

Toute la partie sud-ouest du quartier de Kourada est occupée par les palais des familles taïkounales de Ksiou et d’Owari. Ils ont le même caractère d’uniformité que les autres demeures seigneuriales.

Le Bantsio renferme une forte population d’employés, d’artisans, d’ouvriers au service du Castel et des yaskis de la noblesse, et un grand nombre de ces petits officiers nommés hattamotos, qui dépendent uniquement du Taïkoun. Je n’y ai compté que sept palais de daïmios, entre autres l’un des plus vastes, dont le Taïkoun doit avoir dès lors ordonné la démolition : c’était la résidence de ce turbulent seigneur de Nagato qui s’est mis, coup sur coup, en rébellion ouverte contre son souverain temporel, et en guerre avec toutes les puissances occidentales représentées au Japon. L’on dit même qu’il a tenté, mais sans succès, d’enlever le Mikado et de le transporter dans l’une des forteresses de sa province, afin de donner à sa levée de boucliers le cachet d’une guerre sainte, entreprise pour la restauration de l’omnipotence pontificale. D’après un bruit que je n’ai pu vérifier, ceux des serviteurs du seigneur de Nagato qui lui sont restés fidèles à Yédo, auraient été massacrés, ou écrasés sous les décombres de son palais, en vertu d’un usage barbare qui punit le crime de haute trahison, non — seulement dans la personne et dans les biens du prince qui s’en est rendu coupable, mais jusque dans les membres de sa famille et de sa domesticité.

Les édifices consacrés au culte dans les quartiers de l’aristocratie sont généralement sans importance et en nombre fort restreint. Il peut y en avoir cinq ou six dans l’enceinte de Kourada, et deux ou trois dans chacun des quartiers de Bantsio et de Sourougats. Le quartier des daïmios en est totalement dépourvu.

Ce n’est pas que les Taïkouns aient dédaigné l’appui que le clergé pouvait offrir à leur naissante dynastie. Mais comme Hiéyas et ses successeurs n’avaient rien à espérer de la bienveillance du mikado, ils se sont concilié la faveur des sectes les plus influentes du bouddhisme, en les dotant de bonzeries et de temples qui surpassent en grandeur et en richesse les plus somptueux édifices sacrés de Kioto. Le Toïeysan, le Gokoudsi, le Dentsôhin occupent, dans les quartiers du nord de Yédo, des districts entiers, parsemés de collines, de bosquets, de vergers, de pièces d’eau, de promenades et de places publiques ; et il est tel de leurs sanctuaires dont les proportions architecturales ne sont pas très-éloignées de rappeler une nef gothique de moyenne dimension.

La munificence des Taïkouns à l’égard du bouddhisme n’a d’ailleurs rien ajouté aux sentiments que l’on professe à Yédo pour les ministres de cette religion. Il m’a paru que dans les diverses classes de la société de