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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/340

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maux et que la pluie n’a pas cessé de vous y tenir en captivité dans une chambre d’auberge. L’impartialité n’a jamais été une vertu de la mauvaise humeur.

Montaigne dit, dans ses Essais, que parmi les bains qu’il a vus, « il donne la préférence à ceux de Plombières, où il y a le plus d’aménité de lieu, de commodité de logis, de vivres et de compagnie.

« Les logis n’y sont pas pompeux, mais fort commodes ; car ils font, par le service de force galeries, qu’il n’y a nulle subjection d’une chambre à l’autre.

« Ce lieu est assis sur les confins de la Lorraine et de l’Allemagne, dans une fondrière, entre plusieurs collines hautes et coupées qui le servent de tous côtés.

« Au fond de cette vallée naissent plusieurs fontaines tant froides naturelles que chaudes.

« L’eau chaude n’a ni senteur ni goût, et est chaude tout ce qui s’en peut souffrir au boire ; quant au being, il est de très-douce température et de vrai les enfants de six mois et d’un an sont ordinairement à grenouiller dedans. Il y a plusieurs beings, mais il y en a un grand et principal, bâti en forme ovale, d’une ancienne structure ; les places y sont distribuées par les côtés avec des barres suspendues à la mode de nos équiries, et jette-on des ais par le dessus pour éviter le soleil et la pluie ; il y a autour trois ou quatre degrés de marches de pierre à la mode d’un théâtre, où ceux qui se baignent peuvent être assis ou appuyés. On y observe une singulière modestie, et il est indécent aux hommes de s’y mettre autrement que tout nuds sauf un petit braie, et les femmes sauf une chemise.


Église et place de Plombières. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

« Les hôtesses y font très-bien la cuisine. Nous logeâmes à l’Ange ; tout le logis, où il y avait plusieurs chambres, ne coûtait que quinze sous par jour, la nourriture des chevaux à sept sous.

« Nous partîmes et passâmes un pays montagneux qui retentissait partout sous le pied de nos chevaux, comme si nous marchions sur une voûte, et semblait que ce fussent tambourins qui tabourdassent autour de nous. »

Voltaire tient un tout autre langage :

Du fond de cet antre pierreux,
Entre deux montagnes cornues,
Sous un ciel noir et pluvieux,
Où les tonnerres orageux
Sont portés sur d’épaisses nues,
Près d’un bain chaud, toujours crotté,
Plein d’une eau qui fume et bouillonne,
Où tout malade empaqueté
Et tout hypocondre entêté
Qui sur son mal toujours raisonne,
Se baigne, s’enfume et se donne
La question pour la santé ;
Où l’espoir ne quitte personne :
De cet antre où je vois venir
D’impotentes sempiternelles
Qui toutes pensent rajeunir ;
............
Où par le coche ou nous amène
De vieux citadins de Nanci,
Et des moines de Commerci,
Avec l’attribut de Lorraine
Que nous rapporterons d’ici :
De ces lieux ou l’ennui foisonne,
J’ose encore écrire à Paris…

Notez que, lorsqu’il écrivit ces vers, Voltaire était souffrant, et de plus très-irrité contre le roi de Prusse et contre Maupertuis.


Sources et bains.

Arrivons aux sources minérales et aux établissements thermaux.

Il existe à Plombières trois espèces d’eaux : l’eau ferrrugineuse, l’eau savonneuse et l’eau thermale. Elles émergent de roches granitiques très-feldspathiques, entrecoupées de fentes verticales ou obliques, remplies quelquefois de gros cristaux de quartz ou de terre blanche rosée, plus rarement noire et tachetée de fer oligiste (silicate calcaire). C’est de cette matière, designée par les minéralogistes sous le nom d’halloysite, douce au toucher comme le savon, que les eaux froides qui traversent ces roches ont tiré leur dénomination d’eaux savonneuses.