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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/404

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sont presque tous des complaintes dont le rhythme respire une indéfinissable tristesse. Il n’est pas besoin de connaître le quichua (langue des anciens Péruviens), pour comprendre que le sujet de ces mélodies est le regret de la liberté, et qu’elles perpétuent chez les Indiens la mémoire de la mort tragique des derniers Incas et des trahisons dont ils ont été victimes.

Les indigènes conservent encore aujourd’hui des mœurs naïves, malgré les mauvais traitements que les Européens leur ont fait subir et les vices dont ils leur ont donné l’exemple, à la honte de la civilisation. C’est un des peuples les plus dignes d’intérêt, les plus curieux à étudier qui soient au monde. Par malheur, les conquérants l’ont tellement appauvri, ils ont eu si grand soin de l’affaiblir, que c’est à peine s’il reste aujourd’hui sept ou huit mille indigènes dans un pays qui en comptait plusieurs millions.

Nous sera-t-il permis de donner ici quelques indications sur le peu qu’on sait de son histoire ?


L’ancienne race équatoriale. — Les Quipos. — L’hypothèse des origines. — Les Caras. — Leur art et leur industrie. — Huayna-capac. — Les conquérants européens plus barbares que les peuples conquis. — Le châtiment.

L’histoire de l’ancienne race Quitou serait d’un grand intérêt ; mais l’égoïsme cupide des premiers Européens qui envahirent son territoire, leur ignorance, leur dédain pour les recherches scientifiques furent cause que tout ce qui aurait pu servir à reconstituer les annales du pays a été détruit. Affamés d’or et peu soucieux de l’avenir, les Espagnols non-seulement négligèrent d’instruire les Indo-Américains, de leur donner des institutions sages et équitables, mais encore ils laissèrent même tomber dans l’oubli le mode de lire et d’écrire des Péruviens et des Équatoriens. On sait que ces peuples faisaient usage, comme les anciens Chinois de Quipos, d’un système de cordelettes à nœuds dont l’arrangement et les combinaisons leur tenaient lieu de chiffres, de lettres et de mots. Si on avait conservé avec soin ces curieux documents, si, d’autre part, avant de détruire les édifices antiques, les démolisseurs en avaient copié les inscription, nous aurions assurément des données précises sur l’origine de ces populations, sur leur état social, leurs lois et leurs coutumes. Mais à l’exception de l’histoire du Mexique, dont on a retrouvé quelques traces, il ne reste sur les autres États que de vagues indications qui suffisent seulement pour attester que les anciens Équatoriens cultivaient les arts, les sciences et l’industrie, et que leur développement intellectuel n’était pas si médiocre qu’on pourrait être disposé à le croire.

L’un des savants voyageurs qui ont parcouru le Nouveau-Monde, lord Kingsborough, a publié un ouvrage fort curieux dans lequel il hasarde cette singulière hypothèse que les premiers peuples civilisés de l’Amérique auraient eu pour ancêtres des bandes d’Israélites fugitif qui seraient remontés jusqu’aux glaces sibériennes, et là, auraient pris le parti de traverser le détroit de Behring afin de se soustraire aux horreurs de la famine. En butte aux attaques des sauvages, ils seraient descendus jusqu’aux plaines fertiles du Mexique et devenus une nation puissante. Quelques-unes de leurs colonies, détachées de la métropole, se seraient enfin avancées jusqu’au sud de l’Équateur, où elles auraient fondé les royaumes de Quito et de Cuzco.

Israélites ? Je ne sais : mais il paraît de plus en plus probable que les anciens colonisateurs de l’Amérique conquise par les Espagnols étaient d’origine asiatique. Il est difficile de ne pas en concevoir au moins la pensée lorsqu’on visite les débris de monuments du plateau des Andes et des forêts vierges de l’Équateur ainsi que ceux du Pérou. Bas-reliefs, vases, architecture, pyramides colossales rappellent, à beaucoup d’égards le style de l’Orient, bien que les signes graphiques, les symboles, les emblèmes, aient dû nécessairement varier suivant les époques, les dialectes, la marche et la tendance de la civilisation, et aussi selon les formes des végétaux et des animaux du continent américain.

La dernière monarchie existait-elle encore, ou bien avait-elle été remplacée par une autre dynastie de conquérants, lorsque, vers l’an 1000 de notre ère, les Caras s’emparèrent du Quito ? Comment le dire ? La rareté des documents historiques n’a pas permis jusqu’à présent d’éclaircir ce fait, et l’on ne sait pas davantage quel motif avait amené dans le pays la race guerrière des Caras. Ces nouveaux immigrants venaient-ils encore de l’ouest ou avaient-ils une origine commune, comme le supposent quelques écrivains dont la timidité n’est pas le défaut, avec les Cares ou Cariens de l’ancienne Asie ? Toujours est-il qu’ils envahirent successivement la Nouvelle-Grenade, le Pérou et plusieurs autres territoires, et que leur civilisation a précédé celle des Incas.

« On trouve, dit M. Onffroy de Thoron, auteur d’un ouvrage intéressant sur l’Amérique équatoriale, les traces de leur premier établissement dans la province de Manabi, dès l’an 600 de l’ère chrétienne, époque à laquelle ils s’établirent sur les rives du Charapoto ainsi que dans les environs du pueblo actuel de Monte-Christo. À deux lieues de cette dernière ville, sur le cerro de Hodja, on voit encore un hémicycle où sont rangés des siéges à bras en pierre, supportés chacun par un sphinx et destinés sans doute aux délibérations d’un grand conseil. Plus tard, vers la fin du dixième siècle, les Caras, sous le commandement de leur chef Caran-Shyri, débarquèrent à l’embouchure du Rio-Esméraldas et remontant ce cours d’eau ils parvinrent sur le plateau des Andes et s’emparèrent du royaume de Quito. Ils étendirent leurs conquêtes jusqu’à Huaca, près de la frontière actuelle de la Nouvelle-Grenade, et au sud de l’Équateur jusqu’au port de Païta, que possède aujourd’hui le Pérou. »

Les Caras avaient pour divinités principales le soleil et la lune ; quant à leur gouvernement c’était une monarchie, mais non pas absolue comme celles de l’Orient ; les décisions du Shyri ou roi ne devaient être mises à