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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/101

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d’y pénétrer, dans l’intention sans doute d’en connaître la destination, ou d’y chercher des trésors, que les Arabes supposent être enfermés dans tous les édifices anciens… Les briques qu’on y a employées ne sont pas cuites au feu, mais seulement séchées et durcies au soleil ; elles ont environ treize pouces en carré de surface, et deux pouces et demi d’épaisseur. On les a posées à plat, les unes sur les autres, et cimentées avec la même terre dont elles furent faites. On en compte huit ou dix rangées qui forment une couche de deux pieds ou deux pieds et demi d’épaisseur. On a placé au-dessous de ces briques quatre ou cinq pouces de gravois ou terre grossière, puis une couche de deux à trois pouces, formée de trois rangées de paille ou de roseaux qui se croisent. Les couches de briques recommencent au-dessus de celles de roseaux, et les gravois sont toujours placés au-dessus des briques. Le tout se continue avec le même ordre jusqu’au sommet de la tour. La seule chose que nous ayons remarquée, c’est que les lits de briques ne sont pas toujours égaux : on en voit qui ont à peine deux pieds d’épaisseur, et d’autres qui en ont près de trois. On avait ménagé, à peu de distance les uns des autres, des trous carrés, qu’on dirait avoir servi aux échafaudages, et peut-être aussi à faciliter le desséchement de cette masse ; car on voit évidemment qu’ils pénètrent fort avant dans l’intérieur. Les lits de paille qui saillent aujourd’hui hors des briques, paraissent de loin ; ils sont parfaitement conservés, et ont résisté aux temps, bien plus que n’aurait fait le bois le plus dur. Ils ont seulement un peu bruni là où ils ont été exposés à l’air. Si l’on parvient à les en retirer, ainsi que nous l’avons fait aux murs de Ctésiphon, on reconnaît qu’ils ont appartenu à La même plante qui croît abondamment sur la rive des deux fleuves, et dans les marécages qu’ils forment. C’est une espèce de graminée, l’uniola bipennata, Linn., qui diffère peu du poa cynosuroides, de Retzius. »

On a trouvé peu de briques à inscriptions à Akerkouf : l’une d’elles porte cette inscription :

« En l’honneur du dieu Sin, le roi de l’Orient, son roi, Kourigalzou, le serviteur du dieu Sin, a bâti la maison du grand maître, le temple de sa souveraineté et le temple de… »

Cette trouvaille et la mention du nom de ce roi (qui fut d’ailleurs un personnage peu fameux) ont autorisé quelques archéologues à placer à Akerkouf une ville de Dour-Kourigalzi, dont les inscriptions cunéiformes nous donnent le nom. C’était une place frontière, comme on le voit par cette inscription d’un roi ninivite du neuvième siècle, Teglatphalazar IV, qui porta de rudes coups à l’État babylonien :

« Dès le jour de mon avénement, je régnai sur le pays à partir de Dour-Kourigalzi, de Sippara, la ville du Soleil, de Pasit, qui est dans le pays de Douna, jusqu’à Nipour, le pays des Itous, des Roubous, du peuple d’Aram, tous habitants des rives du Tigre, du Surappi et jusqu’aux deux Ouknis, qui se jettent dans la mer. »

L’État babylonien ne devait pas alors être bien important, circonscrit qu’il était par Akerkouf, Sispara, Ouasit, entre le Tigre et l’Euphrate, et enfin par tout ce qui s’appelle aujourd’hui l’Arabistan au delà du Tigre.

Il y a d’autres savants qui, se fondant sur une vague ressemblance de noms, voient dans Akerkouf l’Accad biblique, fondée par Nemrod. Il est bon de noter (sans en tirer grandes conséquences) que les indigènes appellent toujours ce lieu la colline de Nemrod (Nimrud-Tepeci).

Ce nom de Nemrod remplit la Babylonie et l’Assyrie, comme celui d’Abraham remplit la Mésopotamie, celui de César l’ancienne France, celui de Trajan la vallée du Danube, celui d’Alexandre tout l’Orient. D’où vient cette étrange popularité à un homme qui fonda peut-être une certaine agglomération d’hommes, mais n’apparaît dans l’histoire que comme « un fort chasseur devant l’Éternel ? »

C’est que la chasse, dans l’antiquité, n’était pas le divertissement inoffensif auquel se livrent chez nous, passé le 1er septembre, avec la permission du préfet et du percepteur, de petits ou grands messieurs porteurs de casquettes qui leur donnent une vague ressemblance avec les petits oiseaux dont ils sont la terreur. Ils aiment à s’intituler « les Nemrods de l’arrondissement, » mais le vrai Nemrod ne les reconnaîtrait pas. Pour comprendre le fort chasseur, il faut se reporter aux premiers âges de l’humanité, alors que la forêt, libre, souveraine et comme affolée d’expansion et de vie, couvrait le monde comme elle couvre aujourd’hui le Mato du Brésil et le Mazaga d’Abyssinie : où l’homme timide et dispersé, cultivant son champ de blé ou de maïs autour de sa butte, n’était que le locataire de cette terrible et trop féconde marâtre. Les fils aînés de la forêt, ce n’étaient pas nous, c’était le peuple rugissant, tumultueux, des bêtes fauves, depuis le tigre qui de son buisson bondit par derrière sur le passant qu’il n’ose regarder dans les yeux, jusqu’au lion et au léopard, maraudeurs circonspects des troupeaux, jusqu’à l’éléphant qui passe lourdement dans le champ de maïs qu’il ravage, jusqu’à l’hippopotame et au sanglier qui se vautrent dans les blés, au singe malicieux qui dévaste pour le plaisir de nuire : sans parler du python qui s’enroule indolemment autour du poteau de la hutte, du ceraste qui rampe jusqu’au foyer où dort l’enfant, du crocodile embusqué dans les joncs du fleuve, de l’alligator qui veille dans les eaux noires et pesantes de la mare.

Pour avoir le droit de vivre, l’homme a dû de bonne heure accepter froidement et hardiment le duel que lui offrait la nature. Je ne crois pas que le premier chasseur ait été la bête aux sons articulés qui saisit par les cornes l’antilope empêtrée dans les lianes de la forêt, ouvrit de ses ongles aigus la gorge du doux animal aux yeux veloutés, but son sang chaud, dévora sa chair et s’enveloppa de sa peau souillée. J’aime mieux voir ce premier chasseur dans l’homme fort qui, attiré par les cris d’agonie de son enfant, aura, d’un coup de sa hache de bronze ou de silex, brisé le crâne