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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/165

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barcadères, tracé des rues et préparé partout l’édification d’une ville nouvelle et régulière. »

M. le capitaine de vaisseau de Saisset succéda à M. du Bouzet comme gouverneur des établissements français de l’Océanie (Tahiti et la Nouvelle-Calédonie) ; cet officier, à la tête d’une petite colonne, traversa successivement l’île sur deux points, en 1859 : dans le sud, de Nouméa à Yaté, et dans le centre, de Kanala à Ouaraï.

À ce moment le pays était tellement pacifié déjà, qu’un berger basque, parti de Kanala avec deux cents moutons et deux bœufs, suivit jusqu’à Ouaraï la route que venait de parcourir M. le gouverneur de Saisset, et de là, longeant le rivage de la côte ouest, arriva à Nouméa en quatorze jours, ayant partout trouvé d’excellents pâturages pour son troupeau. Non-seulement les indigènes ne cherchèrent point à nuire à ce hardi pionnier, mais ils l’accompagnaient en troupes nombreuses, et maintenaient son troupeau dans la bonne voie.

C’est encore en 1859 que fut abandonné le poste de Balade, et que l’on créa au fond de la baie de Kanala un établissement qui reçut le nom de Napoléonville : un service postal fut aussitôt établi entre ce point et Nouméa. On vient de le voir, les Kanaks placés sur la route paraissaient, à notre égard, animés des meilleures intentions ; eux-mêmes se chargèrent de transporter d’un poste à l’autre la boîte aux dépêches. Mais il arriva qu’un jour les indigènes, facteurs novices, passant dans le village d’Ahouï, où sévissait une épidémie, furent soupçonnés de porter, dans la boîte de fer-blanc, contenant les lettres, la cause du mal. Il n’en fallait pas davantage à des natures superstitieuses pour que l’arrêt de mort des malheureux messagers fût prononcé ; on les massacra donc sans pitié, et, selon l’habitude, on dévora leurs cadavres. — Ce fait s’accomplit en 1860 ; la tribu de Waton, à laquelle appartenaient les victimes, vint demander vengeance à Nouméa ; une expédition fut alors dirigée contre les coupables, qui se réfugièrent dans des montagnes inaccessibles.

Enfin, au mois de mars 1862, à la suite d’une expédition dirigée contre les indigènes de Houagap (côte Est), on établit sur ce point un poste militaire.

Telle était encore la situation de la Nouvelle-Calédonie en 1863, au moment où j’y arrivai, chargé par le ministère de la Marine et des colonies d’une mission d’exploration géologique et de recherches de mines.

Lorsqu’en 1854 M. le capitaine de vaisseau Tardy de Montravel forma un établissement dans la presqu’île de Nouméa, je ne crois pas que dès l’abord il eût l’intention de placer là le chef-lieu de la colonie ; cependant tous les nouveaux venus, c’est-à-dire les colons vinrent se grouper autour de ce poste, qui prit alors l’aspect d’une petite ville qu’on appela d’abord Port-de-France. De peur de confusion patronymique avec d’autres localités de nos colonies, on ne tarda pas à changer ce nom en celui de Nouméa ; c’est actuellement la capitale de l’île.

En se reportant à cette époque, on explique le choix premier de M. Tardy de Montravel, qui ne cherchait qu’un point facile à défendre et un port sûr ; deux conditions admirablement remplies par le site de Nouméa. Que l’on imagine, en effet, une longue presqu’île montueuse : son extrémité profondément échancrée contourne une baie dont l’ouverture est en grande partie fermée par une île allongée : l’île Nou, ou du Bouzet. Dans ce port les navires sont complétement à l’abri, les blockaus placés à l’extrémité de la presqu’île ne sauraient être entourés par des ennemis venant de l’intérieur, ni même surpris, car quelques sentinelles sur les hauteurs dominent la presqu’île. Au début, c’était donc le meilleur point stratégique que l’on pût trouver dans l’île et cela n’avait point échappé au génie d’un Anglais, dont j’aurai encore l’occasion de parler, le capitaine Paddon, qui longtemps avant notre arrivée avait des établissements en Nouvelle-Calédonie, où il était pour ainsi dire souverain ; or il occupait déjà cette position lorsqu’elle attira l’attention de M. Tardy de Montravel, seulement la station Paddon était sur l’île Nou, qui ferme le port et non à l’extrémité de la presqu’île (voy. t. III, p. 132).

Quoi qu’il en soit, cette heureuse et forte situation stratégique épargna peut-être dans le principe beaucoup de sang ; l’audace des naturels était grande alors ; si grande que maintes fois, ils osèrent pousser leurs attaques jusqu’au milieu de la ville naissante ; ils massacrèrent un jour le gardien du sémaphore qui domine la ville de Nouméa.

Peu à peu, cependant, on ne tarda pas, comme je l’ai dit déjà, à pacifier les Kanaks ; dès lors les raisons, qui avaient fait choisir cet emplacement éraient en grande partie sans valeur, mais des installations considérables avaient déjà été faites ; on ne songea même pas alors à transporter la capitale dans un lieu plus convenable. Cependant une ville d’agriculture, de commerce, n’a pas les mêmes besoins qu’un fort, ou du moins ne les a pas au même degré ; de plus, en première ligne, elle doit avoir d’abondantes sources d’eau fraîche, ce qui manque entièrement dans la presqu’île de Nouméa, où, à part l’aiguade de l’île Nou, le ruisseau le plus voisin est au Pont des Français, à dix kilomètres.

Qui pourrait croire que dans une île comme la Nouvelle-Calédonie, l’un des pays du monde les mieux arrosés, on ait choisi pour capitale une ville où la seule eau potable soit à peu près exclusivement celle que l’on recueille lorsqu’il pleut. Les toitures sont les surfaces qui servent à colliger les eaux pluviales ; aussi le pigeon domestique est-il sévèrement interdit ; sur certains points il y a des puits ; mais les eaux y sont ordinairement chargées de sels ; lorsqu’il n’a pas plu depuis un mois et moins, on boit de l’eau remplie de larves de moustiques, que l’on voit s’agiter et se mouvoir dans tous les sens au milieu du fluide ; et supplice d’un autre genre ! sous ce soleil brûlant où de larges, de fréquentes ablutions sont de nécessité hygiénique, on est forcé de n’en jouir qu’à la manière de l’avare le plus parcimonieux.

Aujourd’hui la population de la ville, y compris les