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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/197

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Pour prévenir ces destructions, les habitants s’empressent de consolider leurs maisons à l’aide d’une série de longues cordes qui passent par-dessus la toiture, et sont fixées solidement, par leurs deux extrémités, à des arbres ou à des pieux enfoncés en terre. Cette précaution, qui paraît bizarre d’abord, a préservé cependant plus d’une habitation ; les cordes, se tendant fortement sous l’action de l’eau de pluie, exercent une pression énorme.

Cette première précaution prise, on a recours à une autre non moins importante qui consiste à clouer intérieurement les portes et les fenêtres, de manière qu’elles ne soient pas enfoncées ; autrement le vent s’engouffrant en dessous du toit, aurait grande chance de le faire sauter.

L’expérience des retours périodiques de ces vents violents, devrait apporter dans la construction des maisons des modifications telles qu’elles fussent à l’abri du fléau. J’avais parlé à mes amis d’un projet de maisons à terrasses, d’autant plus faciles à construire que les matières élémentaires du béton ne sont pas rares dans le pays. J’aurais ensuite disposé tout autour des vérandas des charnières mobiles, placées contre les quatre murs, et soutenues à leur partie extérieure par des colonnes mobiles aussi ; de cette façon, dès que le coup de vent serait annoncé, on enlèverait les colonnes et l’on rabattrait les vérandas le long des murs ; on les fixerait dans cette position très-facilement, et une maison, ainsi transformée, ne laisserait plus aucune prise à la rafale.

Pendant ces cyclones, véritable nom de ces ouragans, le vent souffle successivement de tous les points de l’horizon, et si l’on se trouve au centre de ce cercle, ce qui nous arriva en 1865 à Nouméa, on a un moment de calme trompeur. Le ciel demeure clair, le soleil brillant, l’atmosphère est très-pure, on croit que tout est terminé, on se réjouit, on éloigne toute précaution ; mais, comme un coup de foudre, le vent revient avec toute sa violence et dans une direction diamétralement opposée à celle de la légère brise dont on avait joui pendant les quelques heures d’un calme factice.

Ces sautes de vent, aujourd’hui bien connues des marins, ont été et sont encore la cause de nombreux sinistres maritimes ; croyant au retour du beau temps, le navire se couvre de beaucoup de toile, que permet cette brise légère, mais la saute de vent a lieu si vite qu’on n’a pas le temps d’amener les voiles ; la violence de l’attaque empêche d’exécuter cette manœuvre. On est alors masqué, le navire n’obéit plus au gouvernail, la position est des plus critiques, et si l’on a la chance de s’en tirer, ce n’est pas ordinairement sans de grandes avaries.

Pendant ces orages redoutables, qui durent quelquefois trois jours, le vent est accompagné d’une pluie si abondante que nous n’en avons pas l’idée en Europe. Le baromètre descend quelquefois de 760’ à 718’. J’ai vu à Nouméa des maisons renversées, des toitures entières emportées ; la végétation surtout a beaucoup à souffrir : les branches des arbres et les arbres eux-mêmes se brisent, les plantations sont couchées et détruites, les fruits perdus, et, pour comble de malheur, les végétaux qui ne sont pas brisés entièrement, loin de conserver, après la tourmente, la verdure éternelle des pays tropicaux, paraissent avoir subi un incendie général : leurs feuilles jonchent en partie la terre, comme chez nous dans l’automne ; celles qui ont résisté sont jaunies ou noircies, et donnent aux arbres un aspect désolé.

En 1864, toutes les cannes à sucre, les bananiers, les tiges d’ignames et de patates douces furent renversées, arrachées et meurtries ; le maïs et les légumes des Européens furent dispersés ; les choux et la chicorée restèrent seuls mais avec une teinte maladive. Il fallut renoncer à la récolte des pommiers-canelle, des figuiers, des goyaviers, des corossoliers, des vignes, des citronniers, des orangers. — Les rameaux de la plupart des arbres étaient desséchés.

Cette altération profonde des végétaux est ordinairement attribuée à l’influence de l’eau de mer, que transportent ces rafales furieuses, soufflant du large ; ils recouvrent de dépôts salins l’intérieur et même l’extérieur des maisons de la ville. Cependant, comme j’ai constaté que l’étiolement des plantes s’étend jusque dans leurs racines, et parfois bien au-dessous de la surface du sol, il pourrait fort bien être dû à une autre cause, peut-être à la grande évaporation de la séve, sous l’influence du vent.

Mais je reviens à notre voyage. Nous avions une bonne brise, et notre goëlette, excellente marcheuse, nous portait rapidement vers le nord. Toute cette côte, jusqu’à Nakety, n’a rien de bien remarquable, à part les bords des rivières importantes qui forment des vallées intérieures assez fertiles. Le reste se compose de montagnes stériles qui se prolongent de l’est à l’ouest sur tout le travers de l’île. Les mines de fer dont j’ai signalé l’abondance dans la baie du Sud, à l’île Ouen et dans tout le sud, à Unia ainsi qu’à la baie du Massacre, se retrouvent encore fréquemment ici, en amas considérables. Ce minerai de fer dont on n’a tiré aucun parti jusqu’à ce jour, est cependant appelé à jouer un rôle peut-être important, car il contient une proportion de chrôme de deux pour cent environ, qui passe dans la fonte et dans les produits secondaires, fer ou acier. Or l’acier qui contient jusqu’à deux pour cent de chrôme, ne perd jamais rien de sa malléabilité. De plus, il atteint une dureté extrême, et c’est la dureté de l’acier que les industriels recherchent surtout. Ce minerai contient neuf pour cent d’eau et 73,30 pour cent de peroxyde de fer ; à l’essai il fournit 51,30 pour cent de fonte. Il reviendrait très-bon marché, car on le rencontre en petits blocs séparés formant de grands amas sur les rivages de la mer où il serait aussi facile à prendre que des galets. On pourrait l’envoyer en Australie comme chargement de retour, qui fait généralement défaut. Ce serait d’autant plus aisé qu’en cette contrée des fonderies sont établies très-près des bords de la mer à laquelle elles sont du reste reliées par une voie ferrée. Peu de temps avant