là, aura offert au génie, pour le gagner, un présent plus beau que le leur. — Cette naïve réponse suffit à tout et à tous.
XII
L’île de Bualabio n’est qu’un prolongement de la chaîne orientale de la grande terre qui se relève un instant ici au-dessus de la mer. Cette île, dont le pourtour est environ de vingt-deux milles, est entourée d’un anneau de corail. La bande madréporique annulaire est très-large et affleure à mer basse ; elle est couverte de la précieuse biche de mer (holothurie comestible). Entre cet anneau et l’île existe un canal étroit mais assez profond. Peut-être existe-t-il une passe pour les navires dans cette bande de corail ; ce serait très-désirable.
L’île, quoique montueuse, est fertile ; elle présente plusieurs vallées arrosées par de petits cours d’eau, et d’innombrables cocotiers couvrent les rivages de la mer. C’est là sa plus grande richesse.
Personne encore, soit manque de capitaux, soit par toute autre cause, n’a été tenté de louer cette île pour extraire de ses noix de cocotier l’huile qu’ils contiennent. On va voir de suite quel bénéfice élevé et certain on pourrait retirer de ce fruit précieux, qui est à peu près l’unique nourriture de certains peuples de l’Océanie.
Le moyen ordinairement employé pour la fabrication de l’huile de coco consiste à râper à la main l’amande de ce fruit sur une des extrémités d’un morceau de cercle en fer de barrique, limé de façon à offrir trois ou quatre dents. La râpure tombe au sommet d’une auge inclinée et s’y amoncelle ; lorsqu’elle forme là un petit amas, on la laisse fermenter sans autre précaution. L’huile se sépare et descend suivant la pente de l’auge jusqu’au fond, où on la recueille. La râpure, au bout de trois ou quatre jours, ne laisse plus écouler d’huile ; on la jette alors, quoiqu’elle en contienne encore une assez forte proportion que l’on pourrait bien facilement lui enlever par la compression.
Un kanak peut râper dans sa journée cinq cents noix de cocos ; il en tire environ trente-trois livres d’huile, représentant une valeur de seize francs cinquante centimes à Nouméa et de trente-trois francs à Sydney. Le produit annuel d’un cocotier, déduction faite de tous les frais, peut être évalué à trois francs. Or, l’île de Bualabio, renfermant au moins douze mille pieds de cet arbre, en plein rapport, donnerait un revenu total de trente-six mille francs, qu’on doublerait facilement en perfectionnant un peu le mode de fabrication.
Cette île possède une autre source de richesses sur ses récifs, où abonde l’holothurie comestible, fort recherchée des gourmets chinois sous le nom de trépang. La pêche de ce mollusque, exploitée avantageusement à Bualabio par quelques individus isolés, y pourrait être pratiquée avec profit par un grand nombre.
Le trépang appartient à une nombreuse famille d’êtres modestes assez semblables à de gros vers disgracieux, dont la longueur varie de quelques centimètres à un mètre, et parmi lesquels, comme parmi les hommes, les plus petits sont les plus nombreux. Baptisées par la science du nom d’holothuries, ces créatures sont plus connues des marins et des pêcheurs sous l’appellation de cornichons ou de concombres de mer. Elles se divisent en une infinité de variétés que connaissent seuls les savants spéciaux. Nous nous contenterons d’en présenter deux à nos lecteurs. Nous sommes autorisés à emprunter leurs images fidèles à un livre classique en pareille matière[1].
Quant au trépang, c’est une grosse masse charnue affectant la forme d’un cylindre, long de douze à quinze centimètres, épais de trois à quatre, et chez lequel on ne distingue à l’intérieur à peu près aucun organe. J’avais lu que sa pêche exige autant de patience que d’adresse et que les Malais, qui à chaque mousson d’ouest (octobre et novembre) équipent des milliers de jonques pour aller récolter ce zoophyte sur les côtes semées d’écueils du détroit de Torrès, sont obligés de plonger ou de draguer à de grandes profondeurs pour saisir leur proie. Eh bien, à Bualabio, j’ai vu les pêcheurs se transporter à marée basse sur les récifs, où ils n’avaient que la peine de se baisser pour ramasser à deux mains le trépang et en remplir leurs paniers.
Holoturia elegans (O. F. Müller).
La pêche faite, il s’agit d’en conserver le produit. Dans ce but, les holothuries sont jetées encore vivantes dans une chaudière d’eau de mer bouillante, où on les remue constamment au moyen d’une longue perche ou spatule en bois. Après cette immersion meurtrière, on ouvre chaque trépang dans le sens de sa longueur, pour le vider, et au moyen de deux petites baguettes de bois fixées en croix à l’intérieur de l’animal on empêche les parties séparées par le couteau de se réunir. Ainsi préparés, ces trépangs sont placés sur des claies au-dessous desquelles un feu modéré est allumé de façon à les dessécher sans les flamber, ce qui nuirait à leur valeur. Quand le tout est bien desséché, on divise les trépangs en cinq catégories suivant leur taille et leur couleur. À Nouméa, la dernière qualité vaut de douze à seize cents
- ↑ Le Monde de la mer, par Alfred Frédol.