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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/280

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Berbère[1], en un mot, l’homme du sol, que les différents peuples qui ont tour à tour occupé le littoral de la Méditerranée ont un peu modifié peut-être, mais dont ils n’ont jamais complétement changé les mœurs, et qu’ils ne se sont jamais assimilé.

Cependant, de cette possession à peu près constante du sol par le Kabyle, on aurait tort de conclure à la perpétuité de son langage conservé presque sans altération depuis les temps les plus reculés, pas plus que l’indomptable indépendance de son caractère ne doit faire supposer son sang pur de tout mélange étranger. Il est facile, aujourd’hui encore, de constater des dissemblances remarquables dans la couleur de la peau, des cheveux et des yeux, et l’on peut aisément suivre la gradation du blond clair au noir foncé. Néanmoins, malgré les barbes rousses et les cheveux dorés apportés dans cette contrée d’abord par les Romains et les déserteurs de tous pays que contenaient leurs armées, puis ensuite par les Vandales, l’élément arabe lui-même, qui a dû laisser le plus de traces visibles, a été absorbé par la race berbère fixe et tenace.

Les récits des historiens les plus anciens, surtout ceux de langue latine, parlent des Quinquagentiens, envahisseurs de l’Afrique septentrionale, comme ayant été forcés par leurs ennemis de se concentrer dans les montagnes, où l’on n’osa pas les poursuivre. Théodose lui-même échoua contre Firmus quand il ne parvint pas à l’attirer dans la plaine, où quelques-uns de ses succès furent encore douteux.

Sur ce littoral de l’Afrique que nous appelons aujourd’hui la Kabylie, toute la fin du quatrième siècle fut désastreuse pour la grande nation. Elle avait sur les côtes, on le sait, des établissements considérables dont on retrouve encore la trace ; mais prospérèrent-ils toujours ? On l’ignore. Et quelle fut leur durée exacte ? On l’ignore également, quoique l’occupation romaine, à dater de la fondation de l’empire, ait pu durer plus de quatre cents ans.

La principale fonction des chefs qui se succédaient alors en Afrique, était de suffire aux besoins de Rome, cet insatiable gouffre, et de pourvoir aux largesses que le gouvernement impérial faisait au peuple. Ils n’avaient nul autre but que d’arriver strictement à ce résultat.

Les Romains ne demandaient aux pays conquis que des esclaves et des laboureurs. Ceux des vaincus qui ne voulaient pas accepter leur joug leur abandonnèrent la plaine ; ils se retirèrent, en gravissant les hauteurs, jusqu’à ce que les bois et les ravins leur offrissent un abri inaccessible aux cruautés des centurions, aux exigences du fisc ; et, de ces forts naturels ils s’enhardirent plus tard à descendre, sous la direction de chefs audacieux, pour attaquer et refouler l’étranger.

N’ayant pour le moment à retracer que l’état actuel des Kabyles, nous devons commencer par décrire sommairement leur organisation.

L’ensemble des individus d’une même famille, notre clan celtique, s’appelle kharouba ; chacune des kharoubas qui composent le village ou déhera choisit parmi ses membres un dhaman qui doit la représenter aux réunions du conseil municipal, défendre ses intérêts, en un mot, être pour elle responsable ou répondant. Cette dernière acception est la vraie : un Kabyle qui prête une somme à échéance exige que son débiteur lui présente un ou deux dhamans ou cautions.

L’ensemble de plusieurs déhera prend le nom d’arch.

Dans chaque village, l’autorité est exercée par un amin, choisi à l’élection et à tour de rôle dans chaque kharouba. Ce chef est chargé de veiller à l’exécution des lois écrites, classées sous le nom de kanoun et ne sont que l’énoncé des coutumes en usage de temps immémorial en Kabylie.

L’amin ne peut prendre aucune décision, frapper aucune amende sans la réunion (djemâa) de ses adjoints ou dhamans toujours pris parmi les notables. Ce tribunal choisit un secrétaire (khodja) chargé de tenir à jour le registre de ses délibérations et de faire toute la correspondance avec l’autorité française. Ces fonctions de khodja sont rémunérées par des rétributions en figues, olives, etc., etc.

Le commandement de la tribu est donné par l’autorité française à un amin-el-oumena, qui a pour fonction principale la surveillance de sa tribu, au point de vue de l’ordre public. Il ne doit s’immiscer en rien dans les affaires des villages, qui se gouvernent chacun suivant son khanoun.

Chaque village est divisé en deux partis ou soff qui sont généralement ennemis héréditaires. On comprend facilement à quelles extrémités regrettables pour la tranquillité publique en arrivaient ces voisins irréconciliables, quand leurs intérêts se trouvaient en jeu.

Les élections étaient une source constante de trouble ; les armes à feu se mettaient de la partie, et, en un mot, pour me servir d’une expression locale : la poudre parlait.

La disposition des villages, dont les constructions se dominent presque toujours les unes les autres, rendait ces rixes sanglantes. Quelques maisons élevées étaient crénelées ; les autres étaient percées de meurtrières, et la djâma (mosquée) devenait, en raison de l’importance militaire de son premier étage, une véritable forteresse, dont la possession assurait le succès.

La djâma possède une caisse municipale, déposée entre les mains d’un oukil (homme d’affaires, gérant). Cette caisse est alimentée par les amendes qu’infligent le conseil municipal et l’autorité indigène, et par les droits perçus pour les mariages, les naissances et les morts.

En voyant que nous travaillons pour leur bien, les Kabyles s’habituent peu à peu à céder, dans leurs élections, à une impulsion plus centralisatrice. Nous devons profiter dans ce sens du fâcheux résultat des prises

  1. Berbères. — Barbari en latin, barbaroi en grec, beraber et berabra en arabe. Tous ces mots semblent venir du sanscrit warwara, appellation hostile appliquée à l’étranger.